Genève ville créative

Le blog de Sami Kanaan

  • Les médias vont mal. Et notre démocratie ?

    Les médias vont mal. Ce n’est pas nouveau et le tournant a été amorcé lorsque les grands éditeurs de ce pays ont décidé que les petites annonces (entre autres) qui les finançaient n’avaient plus à le faire et qu’ils les exportaient sur des plate-formes tierces (Anibis détenue par Ringier, Ricardo par TX-Group par exemple), ceci en parallèle d’un mouvement d’exode global de la publicité des médias suisses vers des acteurs globaux du numérique, les GAFAM (Google et Facebook, surtout). Cette situation dure depuis des années. Mais passé les premiers temps durant lesquels certains ont imaginé pouvoir mettre en place d’autres modèles d’affaire pérennes ou que le numérique allait tout résoudre, on se rend compte aujourd’hui que la situation continue d’empirer et devient toujours plus préoccupante pour la démocratie. Pourtant, outre des initiatives locales, que font nos élues et élus à Berne ? Pas grand-chose malheureusement…

    La démocratie n’a sa raison d’être que dans une société civile forte, dans laquelle circule une pluralité d’opinions et une information de qualité, pour lesquelles nous n’avons pas trouvé de meilleur levier durable que des journalistes professionnel-le-s répondant à la charte de déontologie de leur métier, avec une grande diversité de titres (quotidiens, hebdomadaires, mensuels, radios, etc.).

    Il a souvent été question, aux prémices du numérique, de journalisme-citoyen. Le festival Open Geneva vient d’en faire le sujet de sa passionnante soirée d’ouverture (avec des propositions tout à fait novatrices pour renforcer l’information locale, notamment le projet Polaris). Pourtant, rien ne remplace le travail professionnel de recherche, de recoupement et de vérification de l’information, de mise en contexte, etc. propre au métier de journaliste. Tous les faits ne se valent pas et le travail des journalistes et bien de mettre en lumière, de hiérarchiser, d’apporter un contexte et des explications à ces faits. De leur donner du relief et ainsi, de mettre leurs compétences au service de l’échange démocratique.

    Cette fonction oh combien importante est progressivement mise à mal par la diminution des équipes des principaux médias, mais aussi par une perte de pluralité et une certaine mainmise sur les titres de journaux (pourquoi croyez-vous que Christophe Blocher a racheté près de 30 journaux et médias locaux ces dernières années : certainement pas par bonté d’âme, mais pour gagner en influence idéologique et politique, comme le font Vincent Bolloré en France ou plus anciennement Rupert Murdoch au Royaume-Uni et aux Etats-Unis).

    Face à cette situation, certaines autorités locales tentent de réagir. Depuis 2018, j’ai essayé d’initier un soutien conjoint à l’échelle romandes des cantons et principales villes. Si Lausanne (qui a depuis déployé un paquet d’aides aux médias) et le Canton de Genève (qui déploie également des mesures propres) ont répondu présents, ça n’a pas été le cas des autres et les initiatives se sont opérées de manière décoordonnées. La Ville avait en parallèle mis en place une palette d’aides ponctuelles très locales de soutien aux dynamismes des médias, soutenant leur plus-value pour la vie citoyenne démocratique.

    Néanmoins, seul un soutien coordonné et cohérent à l’échelle de la Suisse romande (ou mieux à l’ensemble de la Suisse) ferait sens pour apporter l’aide structurelle nécessaire. Je ne désespère pas que le projet de fondation romande puisse que j’avais proposé puisse voir le jour dans un avenir prochain. Un think tank comme Nouvelle Presse, mené par l’ancien Conseiller national et Conseiller aux Etats vaudois Luc Recordon, pourrait en constituer l’une des bases.

    Je m’étonne en revanche du manque d’engagement flagrant des autorités fédérales, dont on ne voit rien émerger qui puisse apporter une réponse convaincante et durable. Récemment, on a vu apparaître de la part du Conseil fédéral un rapport en réponse au postulat déposé par la Conseillère nationale Katja Christ. Une réponse qui constitue un emplâtre sur une jambe de bois, très probablement par peur de rouvrir un véritable débat public après l’échec fort regrettable de la réforme refusée par le peuple en février 2022. Nul doute que ce paquet, pourtant minimal, subira les foudres de tous les chantres du libéralisme effréné prétendant croire aux vertus du marché, malgré les évidents dysfonctionnements de celui-ci. Ce positionnement dogmatique est comme par hasard soutenu activement par la plupart des grands médiatiques privés du pays, ceux-là même qui démantèlent de plus en plus vite leurs titres avec des dizaines de suppressions d’emplois (sans perspective de fin de cette hémorragie) tout en siphonnant allègrement tout ce qui rapporte, à commencer par le marché publicitaire.

    Parallèlement, le débat sur l’avenir de la redevance pour les médias ayant un rôle de service public a pris une nouvelle dimension avec la proposition du Conseil fédéral de diminuer celle-ci à 300 francs. L’Union des Villes Suisses a pris position très clairement en début d’année contre cette baisse, de même que la Ville de Genève bien évidemment. Je relève au passage que le Conseil d’Etat genevois a été un des rares cantons urbains à soutenir cette baisse, au nom d’un prisme idéologique complètement décalé, qui méprise objectivement les intérêts d’une collectivité multiculturelle, francophone de base, internationale et située aux lisières de notre pays !

    Dans sa prise de position, l’UVS a très justement fait le lien avec le soutien plus général aux médias. Car affamer la SSR ne donnera pas un franc de plus aux médias locaux quels qu’ils soient (par ex les radios et télévisions locales) et assurément pas plus aux titres « print  (presse imprimée, avec ou sans site web) qui contribuent à la pluralité de l’offre médiatique. Le combat pour le maintien de la redevance SSR est donc le même que celui pour l’octroi de soutiens aux médias.

    Il serait donc urgent que des élues et élus à Berne propose donc une aide globale et ambitieuse, qui préserve, voire renforce la diversité du paysage médiatique en Suisse, et par la même occasion en empêchant une razzia de la part de groupes étrangers qui menaceraient de peser sur notre vie démocratique en siphonnant les ressources de notre information. Ça sonne un peu nationaliste sur les bords ? Patriotique en tout cas, soit mon attachement à la richesse et la complexité de notre vie démocratique, avec notamment la démocratie directe qui implique une participation active et durable des citoyennes et citoyens et qui nécessite donc une offre médiatique diversifiée. Ceci montre qu’il devrait y avoir des possibilités d’alliances, si des propositions étaient énoncées et si la droite est cohérente. ABE !

  • En faveur d’une 13ème Rente AVS, et non au conflit entre générations !

    Il ne reste plus que quelques jours jusqu’aux résultats de la votation fédérale pour l’introduction d’une 13ème rente AVS dans notre pays. Les opposants sentent que la population pourrait accepter ce geste absolument essentiel afin d’assurer un niveau de vie décent pour nos aînées et nos ainés. Dès lors, ils font feu de tout bois contre le projet, y compris avec des arguments fallacieux, voire pervers. Parmi ces cartouches dangereuses et malsaines tirées en rafale par les opposants, l’une d’elles est particulièrement toxique pour la cohésion de notre pays, à savoir opposer les générations et prendre en otage les jeunes en leur faisant croire qu’un oui les menacerait dans leur avenir économique et social. Les derniers sondages de la SSR montrent que, malheureusement, cet argument semble faire mouche, avec une baisse du « oui » auprès des jeunes générations.

    Je ne peux qu’être particulièrement sensible aux enjeux liés à l’avenir de la jeunesse en général, et en particulier à leur avenir économique et social, donc notamment le marché du travail et les retraites futures, vu que je préside la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse depuis 2016. C’est un fait indéniable que pour plein de raisons cumulées les défis pour l’avenir des jeunes en termes d’emploi, de type de métiers et de marché de travail, et par ricochet de retraites, sont nombreux et complexes. On peut citer pêle-mêle, la numérisation accélérée de notre société et donc des métiers, offrant des opportunités mais impliquant aussi des risques de disparition de nombreuses professions ou en tout cas leur transformation radicale, le fait qu’entre le moment où on termine une formation qualifiante et l’atteinte de l’âge de la retraite, les carrières seront probablement beaucoup moins continues qu’aujourd’hui, la transformation aussi écologique profonde de notre société avec des risques de crises majeures, la croissance des inégalités sociales, etc. Ce n’est pas par hasard qu’il y a les jeunes une tendance certaine à l’anxiété qui s’amplifie de plus en plus, comme le démontrent tous les indicateurs disponibles relatifs à la santé mentale des jeunes. Mais aller leur faire peur en prétendant qu’une 13ème rente serait dangereuse pour eux car elle ferait porter un fardeau excessif, c’est attiser un conflit intergénérationnel qui n’a pas lieu d’être et qui est toxique en soi. C’est d’autant plus irresponsable que cela vient de forces politiques qui soi-disant prônent les vertus de la famille et adorent chanter les vertus de la nation une et indivisible !

    Toutes les données statistiques montrent à quel point l’allongement de la durée de vie, qui est une réalité, et qui donc impacte les dépenses en matière de financement des retraites, est largement compensée depuis toutes ces années par l’augmentation à la fois du nombre de personnes qui travaillent (avec l’arrivée progressive des femmes dans les professions rémunérées, même si encore aujourd’hui avec des inégalités salariales inacceptables), l’augmentation de la productivité et l’augmentation de la masse salariale, qui entraîne mécaniquement une augmentation des cotisations. Aujourd’hui, les finances de l’AVS sont donc saines ! Le fonds de réserve se situe à 50 milliards de francs et va atteindre 70 milliards en 2030 ! Encore récemment, les comptes annuels de l’AVS ont dégagé un bénéfice conséquent de plusieurs milliards !

    Quant à l’argument que cette rente bénéficie aux riches, il est objectivement faux, puisque les cotisations versées par les hauts revenus dépassent mécaniquement leur propre rente, même si on introduit la 13ème rente. Et ceci est parfaitement légitime vu que l’AVS est fondamentalement une assurance sociale, qui vise une solidarité forte entre toutes les composantes de la population , afin que toutes et tous aient un revenu de base à la retraite qui soit décent. Les mêmes qui disent aujourd’hui qu’il suffirait d’améliorer le système des prestations complémentaires, sont les mêmes qui ont systématiquement combattu toute mesure dans ce sens (comme le rappelait encore Pierre-Yves Maillard récemment), ou tout autre mesure visant à améliorer la situation des personnes retraites à bas revenu, sans parler aussi de leurs attaques constantes sur le deuxième pilier. L’AVS est l’un des piliers les plus fondamentaux de notre cohésion nationale, entre riches et pauvres, et entre générations.

    Celles et ceux qui prétendent se soucier de l’avenir des jeunes feraient mieux de s’interroger sérieusement sur la précarisation de plus en plus forte du marché du travail, sur le recul de nombre de métiers couverts par des Conventions collectives de travail dignes de ce nom, ou encore sur l’absence de mesures efficaces contre les inégalités encore et toujours criantes entre hommes et femmes en matière salariale (rien que l’égalité réelle dans ce domaine contribuerait directement au financement de l’AVS). Ils et elles devraient aussi arrêter de combattre le salaire minimum et s’engager activement pour mettre en place un système réellement généreux et performant de formation continue tout au long de la carrière. Et il faut enfin s’atteler à une réforme plus profonde de financement des assurances sociales en général qui se base aussi sur d’autres sources que seulement les revenus du travail (revenus du capital, revenus issus de la numérisation de la société, taxation des activités polluantes, etc.).

    Jouer les générations les unes contre les autres et un acte, je le répète, profondément irresponsable. Donc oui à la 13èeme rente, un acte de cohésion sociale et nationale, et non à un conflit artificiel entre générations !

  • Contexte stimulant pour des défis essentiels de politique culturelle en 2024

    Un budget 2024 voté en Ville de Genève avec de belles avancées pour le domaine culturel, une entrée en vigueur le 1er janvier 2024 de la Loi cantonale pour la Promotion de la Cuture et de la Création Artistique, des données qualitatives et quantitatives réjouissantes sur l’appétit de culture de la population genevoise, une belle série de Prix fédéraux pour des artistes de Genève, des chantiers importants qui démarrent en matière d’infrastructures, des nominations faites ou prochaines qui sont prometteuses : Que du bonheur, comme disait l’autre ? L’année 2024 a commencé sous des auspices particulièrement stimulantes et encourageantes, ce qui nous donne d’autant plus la responsabilité de saisir ces opportunités et de relever les défis qui se présentent à nous.

    Ainsi, et c’est fort réjouissant, le budget finalement voté au Conseil municipal de la Ville de Genève pour 2024 a pu, grâce à une embellie des recettes fiscales, permettre de couvrir non seulement des besoins vitaux dans le domaine de l’action sociale ou de l’urgence climatique mais aussi de prendre en compte des besoins avérés dans le domaine culturel. Il serait trop long de lister ici toutes les augmentations de manière détaillée ; elles s’inscrivent dans des axes prioritaires suivants qui correspondent à la Feuille de route que j’ai définie pour mon département et au Programme de législature du Conseil administratif :

    De plus, les organisations culturelles bénéficient en 2024 comme toutes les autres entités subventionnées par la Ville d’une indexation des contributions de 2%, vu qu’elles subissent aussi les effets du renchérissement dans tous les domaines. Il n’y a pas de raison d’indexer uniquement le personnel de la fonction publique et je m’engage depuis plusieurs années pour pérenniser ce principe, selon des modalités à préciser.

    Ces moyens budgétaires accrus constituent un choix politique assumé de la Ville de Genève de reconnaître la richesse, la diversité et la qualité du tissu culturel genevois, et de l’accompagner dans son évolution et face aux défis qui le concernent pleinement, en lien avec les axes prioritaires cités ci-dessus. Il y a également une volonté partagée et très manifeste sur le terrain de renforcer les démarches visant à développer la participation culturelle dans la population. Je reviendrai ultérieurement dans d’autres billets sur ce site pour en parler car ces thématiques sont essentielles et en pleine évolution.

    Juste là, je tiens à relever un autre changement structurant pour le paysage culturel genevois, qui est passé presque inaperçu hors du milieu concerné. La nouvelle Loi cantonale pour la Promotion de la Cuture et de la Création Artistique (LPCCA) est entrée en vigueur le 1er janvier, concrétisant ainsi la volonté populaire exprimée en mai 2019 à plus de 83% pour une politique culturelle cohérente et concertée sur le territoire genevois, impliquant un engagement politique et financier nettement plus marqué du Canton. A ce jour, le Canton tient ses engagements qui découlent de la LPCCA et de l’Accord culture signé le 8 décembre 2022 entre le Canton, l’ACG et la Ville de Genève, si on considère la deuxième tranche de moyens supplémentaires de 3.3 millions pour la culture votés par le Grand Conseil dans le budget 2024 du Canton, suite à une première tranche de 1.1 million votés dans le budget 2023, sans compter d’autres moyens accordés en plus par le Grand Conseil hors enveloppe de l’Accord culture (soutien au livre à et à l’édition, OCG, Cinéforom, etc.). J’insiste sur cette dynamique car encore maintenant il faut faire face à une certaine incrédulité au sein des rangs du Conseil municipal, tous groupes confondus, sur la volonté réelle du Canton de tenir ses engagements. Une des prochaines étapes sera le dépôt par le Conseil d’Etat d’un projet de loi au Grand Conseil portant sur la participation à hauteur de 8 millions de francs au crédit d’investissement pour la rénovation complète de la machinerie du Grand Théâtre, crédit global de 44 millions de francs avec 20 millions de contribution d’une Fondation privée genevoise et 4 millions du Fonds intercommunal.

    Il ne faut surtout pas sous-estimer le travail considérable qui nous attend les uns et les autres pour la mise en œuvre plus complète de cet accord et de son volet budgétaire ainsi que de la LPCCA : dispositif de coordination politique et opérationnelle, mise au point d’une Stratégie partagée de politique culturelle entre collectivités publiques et concertation avec le milieu professionnel, conventions partagées pour de nombreuses entités subventionnées, moyens accrus pour la diffusion et la participation culturelle, préparation de l’entrée du Canton à part équivalente à la Ville dans certains grandes institutions culturelles comme le Grand Théâtre et ensuite le Musée d’art et d’histoire et la Bibliothèque de Genève. Ce travail implique bien sûr aussi les autres communes, si on pense au Théâtre de Carouge ou au futur Centre Espace Concorde à Vernier. Nous nous devons de tout entreprendre pour que la volonté populaire soit respectée de manière crédible et durable. La nouvelle Loi constitue un cadre optimal pour une politique culturelle qui irrigue l’ensemble du territoire genevois (y compris sur le plan régional, là aussi j’y reviendrai) et qui renforce les moyens pour la création et la diffusion du travail des artistes de Genève, dont la capacité à rayonner au-delà de nos frontières n’est plus à démontrer : La LPCCA permettra aussi de favoriser la durabilité du travail effectué dans tous les sens du terme, et de développer les moyens pour impliquer pleinement le public. Que l’on prenne le nombre de Prix fédéraux décernés à des artistes de Genève, ou le poids économique du domaine, tout démontre que Genève non seulement investit pour la culture, avec une belle réponse du public, mais en bénéficie pleinement, y compris en termes d’emplois et de valeur ajoutée. Rappelons à cet effet l’étude sur le poids de l’Economie culturelle et créative, publiée par mon département en juin 2023, et le Symposium très suivi sur le même thème en mai 2023.

    Nous avons du pain sur la planche ; ce pain est fort appétissant et autant bien le partager et l’apprécier, pour que chacun-e en profite !

  • Les pouvoirs locaux, un levier incontournable pour construire ensemble un meilleur avenir !

    Le lundi 25 septembre, je participais à la séance trimestrielle du Comité de l’Union des Villes Suisses (UVS) en ma qualité de représentant de la Ville de Genève et vice-président de l’UVS, où nous avons discuté de la stratégie pour renforcer la place de villes dans les institutions suisses. Le lundi 2 octobre s’ouvrait sous mon égide au Palais des Nations le Forum des Maires, une instance qui, pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, accorde une place formelle et reconnue aux villes dans le dispositif de gouvernance multilatérale. Le lundi 9 octobre, l’Union des Villes Genevoises (UVG – que je préside actuellement) tenait une conférence de presse très remarquée sur des enjeux de nos villes, en lien avec leurs charges spécifiques pour les prestations qui bénéficient à d’autres et les charges sociales accrues. Quel lien entre ces trois évènements à 15 jours d’intervalle ?

    Aujourd’hui, plus de la moitié de la population de notre planète vit en milieu urbain. D’ici 2070, ce sera plus de 70%. Par choix ou par nécessité, à tort ou à raison, beaucoup de gens voient leur avenir concret en ville. On peut saluer ou regretter cette tendance, elle constitue une réalité inarrêtable. Sur le plan mondial, on a entre-temps des mégapoles de 10, 20, 25 millions d’habitant-e-s, soit plus peuplées que toute la Suisse. En Suisse, nos villes sont comparativement minuscules, la plus grande étant Zurich (420’000 hab) suivie de Genève et Bâle. Mais le phénomène d’urbanisation s’accélère aussi, avec actuellement près de 80% de la population qui vivent en milieu urbain.

    Les gouvernements locaux et régionaux (appellation consacrée sur le plan international), leurs élu-e-s, leurs équipes, sont aux premières loges de la réalité des gens, au quotidien. Etant en bout de chaîne institutionnelle, elles ont un pouvoir normatif limité par rapport à l’échelon national, voire international, mais elles doivent gérer au quotidien aussi bien des préoccupations immédiates que des défis majeurs à plus long terme, ce qui les oblige avoir une approche à la fois pragmatique, inclusive, et innovante de l’action publique.

    Malheureusement, les villes sont encore largement peu reconnues dans leur action par les niveaux institutionnels supérieurs, même dans des systèmes fédéralistes comme la Suisse, l’Allemagne ou d’autres. L’article 50 de la Constitution fédérale suisse dit clairement que la Confédération doit prendre en compte les villes dans son action. Cet article est largement ignoré dans les faits. A Genève, territoire de moins de 300 km2 composé de 45 communes, 15 municipalités peuvent revendiquer le statut de ville au sens des définitions suisses. Les villes genevoises représentent donc 85% de la population et 90% des emplois ! Il n’empêche que leurs réalités sont très peu prises en compte dans les mécanismes institutionnels genevois, avec une forte prépondérance politique et institutionnelle des petites communes, notamment les communes très riches. Malheureusement, la situation genevoise s’apparente presque à une lutte des classes, ce qui est fort regrettable !

    Heureusement, la situation évolue aussi bien localement que sur le plan fédéral ou au niveau international. Les réseaux des villes comme CGLU s’engagent très activement faire entendre la voix des pouvoirs locaux. D’ailleurs la Ville de Genève et le Canton de Genève ont décidé d’adhérer conjointement au réseau mondial des métropoles Metropolis, un geste fort pour assurer une présence adéquate pour Genève sur le plan international. Le Forum des Maires a ainsi donné l’occasion d’adopter officiellement une déclaration à l’intention des Etats et surtout d’interagir directement avec des agences onusiennes aussi importantes que l’OMS ou le Haut-Commissariat aux réfugiés. Récemment encore, le Global Cities Hub, plateforme d’interaction entre le monde des pouvoirs locaux et les acteurs de la gouvernance multilatérale, constitué par la Ville de Genève et le Canton de Genève avec un appui important de la Confédération, a pu initier et intensifier des échanges directs avec l’UIT, le CICR, la FICR, l’UNICEF et d’autres. Le Conseil administratif de la Ville de Genève a par ailleurs rencontré récemment le nouveau Haut-Commissaire aux droits humains des Nations Unies qui a souligné le fait que les droits humains, qu’ils soient civiques, politiques, sociaux, culturels ou autres, ne peuvent être pleinement concrétisés sans la contribution essentielle des pouvoirs locaux. Quant à l’enjeu plus global de la place de ces pouvoirs locaux dans le dispositif officiel de gouvernance multilatérale, le Secrétaire général des Nations Unies a annoncé ce vendredi 6 octobre 2023 la mise en place d’un groupe de travail chargé de faire évoluer tout le dispositif dans ce sens.

    Sur le plan suisse, les barrières sont nombreuses, à commencer par la prééminence excessive des petits cantons dans notre Constitution et nos institutions. Toutefois la prise de conscience évolue, trop lentement à mon goût. Aujourd’hui, un-e élu-e d’Appenzell Rhodes-intérieures au Conseil des Etats (1 siège de demi-canton) représente un peu plus de 16’000 habitant-e-s, tandis qu’un-e même élu-e pour Zurich (2 sièges par canton), avec les mêmes pouvoirs, représente 789’983 habitant-e-s, plus de 48x plus !

    Sur le plan genevois, la situation est similaire. L’Association des communes genevoises (ACG), organe officiel de représentation des communes et institué par une loi cantonale dans un processus très top-down bien peu représentatif de la démocratie helvétique, fonctionne la plupart du temps sur un système « une commune / une voix ». Ainsi, la voix des habitant-e-s de la Ville de Genève compte pour plus de 408x moins que celle de Gy.

    Par ailleurs, les chiffres très concrets issus des 3 études publiques récemment par l’UVG montent à quel point il est urgent de prendre très sérieusement en compte les réalités des villes : sur 8 villes membres, 5 ont des charges sociales nettement au-dessus de la moyenne des autres communes du Canton (entre 30% et presque 200% selon les cas). Et toutes assument des charges de ville-centre parfois très au-dessus de la moyenne cantonale (entre 142 et 1’299 francs par habitant-e et par an). Ceci alors que la plupart des villes ont un revenu médian par habitant plus bas que la moyenne cantonale (péréquation inclue !). Cherchez l’erreur !

    L’objectif n’est pas de remplacer ou de marginaliser d’autres acteurs institutionnels mais d’admettre que, sans les villes, il manque très clairement une composante essentielle lorsque nous évoquons des enjeux comme les flux migratoires, les causes et surtout les impacts très concrets du changement climatique, les inégalités sociales, l’impact de la numérisation, etc. Aussi bien les constats et les diagnostics que les solutions ne seront pas aussi pertinents si on ne prend pas en compte les villes !

  • Pour une Suisse qui prenne vraiment soin de la cohésion sociale, économique et nationale !

    Le pouvoir d’achat constitue évidemment une préoccupation essentielle en ce moment, avec une inflation au taux officiel de 2.4% et une brutale augmentation des primes d’assurance-maladie. Comme l’indiquait Samuel Bendahan, économiste, enseignant et chercheur, et par ailleurs Conseiller national socialiste vaudois, dans l’édition du Matin Dimanche du 10 septembre 2023, on peut considérer que la classe moyenne a perdu 20% de pouvoir d’achat en 20 ans, ce qui est considérable.

    Sur 20 ans, par exemple, les primes d’assurance-maladie ont doublé en moyenne, les loyers ont augmenté de 26.9%. Pendant ce temps, les ultra-riches ont vu leur fortune augmenter nettement : entre 2005 et 2018, la part de fortune des 1% les plus riches de Suisse est passée de 38 à 44% de la fortune totale du pays. Les revenus cumulés des actionnaires (dividendes versés) ont atteint plus de 44milliards de francs en 2022. Et à l’autre bout de la chaîne, il y a les revenus modestes qui, même si des prestations sociales diverses permettent d’atténuer le problème à certaines conditions, voient leur réalité de tous les jours se péjorer à grande vitesse.

    Si une action forte, à la fois immédiate et structurelle, n’est pas entreprise par les autorités fédérales, nous allons dans le mur, avec un appauvrissement croissant d’une partie de la population et des tensions sociales et politiques qui ne vont que s’accroître, mettant en danger la cohésion de notre pays. Or, malheureusement, le Parlement dominé par des forces de droite n’en prend pas du tout le chemin, bien au contraire. Lorsque je vois l’UDC publier des affiches avec le slogan « Votre pouvoir d’achat, notre priorité », cela me donne de l’urticaire tellement on est dans le mensonge pur (et assumé). La droite, l’UDC en tête, combat systématiquement toute proposition qui va dans le sens de soutenir les ménages de notre pays, que ce soit des familles, des retraité-e-s, des jeunes, des personnes seules.

    Des exemples très concrets :

    En revanche, lorsqu’il s’agit de soigner les gens déjà très privilégiés, c’est « open bar » !!! Comme la droite cantonale genevoise qui vient de voter un cadeau massif aux propriétaires qui ne veulent pas financer l’assainissement énergique de leurs biens, en récompensant ainsi les mauvais élèves ! Ou la droite fédérale qui refuse de taxer les vols en jet privé, pourtant contributeurs massifs aux émissions des gaz à effet de serre ! Et que fait miroiter cette droite pour faire semblant de s’occuper du pouvoir d’achat ? Des baisses d’impôt qui, par définition profitent avant tout aux hauts revenus tout en diminuant la capacité d’action de la collectivité publique, déjà très sollicitée sur le plan social, justement.

    Une toute première étape, pour réellement aborder ce problème majeur, est d’arrêter de sous-estimer volontairement la réalité avec le taux officiel de l’indice des prix à la consommation (IPC) en Suisse, qui ne tient pas compte des primes d’assurance-maladie et que très partiellement des augmentations du loyer. De plus, les augmentations des prix ne touchent pas de la même manière les revenus hauts, moyens ou bas ! Un IPC est un taux très politique et sa définition donc aussi ; cette réforme est urgente.

    Par ailleurs, de manière générale, des mesures concrète doivent être prises : primes d’assurance-maladie plafonnées à 10% du revenu, indexation des rentres AVS et LPP et 13ème rente, investissements massifs dans les énergies renouvelables produites en Suisse afin de stabiliser l’approvisionnement et donc les prix, régulation beaucoup plus forte du secteur immobilier, etc.

    En tant que membre de l’exécutif de la 2ème ville de Suisse, je constate que l’actuelle spirale droitière engendre non seulement une fracture économique et sociale croissante mais aussi des reports de charges sur les cantons et les villes, qui devront assumer très concrètement la facture, en essayant de limiter les dégâts sociaux, tout en faisant face à des demandes de baisses fiscales de nature populiste.

    Il ne s’agit pas seulement d’idéologie ou d’idéalisme, mais aussi d’éthique, de droits humains et même d’économie : la baisse du pouvoir d’achat handicapera tôt ou tard la vie économique. Et peut-être encore plus grave : c’est un ferment de division, entre générations, entre régions du pays, entre villes et campagnes, entre personnes d’origines différentes, donc un vrai poison pour la cohésion nationale de notre pays. Pensez-y lors de l’exercice de votre droit de vote en prévision des élections fédérale du 22 octobre !

Sami Kanaan est Maire de Genève 2014-2015, 2018-2019 et 2020-2021, Conseiller administratif en charge du Département de la culture et du sport, puis de la culture et du numérique, Président de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, Vice-président de l’Union des villes suisses et Président de l’Union des villes genevoises.

suite…

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