Le lundi 25 septembre, je participais à la séance trimestrielle du Comité de l’Union des Villes Suisses (UVS) en ma qualité de représentant de la Ville de Genève et vice-président de l’UVS, où nous avons discuté de la stratégie pour renforcer la place de villes dans les institutions suisses. Le lundi 2 octobre s’ouvrait sous mon égide au Palais des Nations le Forum des Maires, une instance qui, pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, accorde une place formelle et reconnue aux villes dans le dispositif de gouvernance multilatérale. Le lundi 9 octobre, l’Union des Villes Genevoises (UVG – que je préside actuellement) tenait une conférence de presse très remarquée sur des enjeux de nos villes, en lien avec leurs charges spécifiques pour les prestations qui bénéficient à d’autres et les charges sociales accrues. Quel lien entre ces trois évènements à 15 jours d’intervalle ?
Aujourd’hui, plus de la moitié de la population de notre planète vit en milieu urbain. D’ici 2070, ce sera plus de 70%. Par choix ou par nécessité, à tort ou à raison, beaucoup de gens voient leur avenir concret en ville. On peut saluer ou regretter cette tendance, elle constitue une réalité inarrêtable. Sur le plan mondial, on a entre-temps des mégapoles de 10, 20, 25 millions d’habitant-e-s, soit plus peuplées que toute la Suisse. En Suisse, nos villes sont comparativement minuscules, la plus grande étant Zurich (420’000 hab) suivie de Genève et Bâle. Mais le phénomène d’urbanisation s’accélère aussi, avec actuellement près de 80% de la population qui vivent en milieu urbain.
Les gouvernements locaux et régionaux (appellation consacrée sur le plan international), leurs élu-e-s, leurs équipes, sont aux premières loges de la réalité des gens, au quotidien. Etant en bout de chaîne institutionnelle, elles ont un pouvoir normatif limité par rapport à l’échelon national, voire international, mais elles doivent gérer au quotidien aussi bien des préoccupations immédiates que des défis majeurs à plus long terme, ce qui les oblige avoir une approche à la fois pragmatique, inclusive, et innovante de l’action publique.
Malheureusement, les villes sont encore largement peu reconnues dans leur action par les niveaux institutionnels supérieurs, même dans des systèmes fédéralistes comme la Suisse, l’Allemagne ou d’autres. L’article 50 de la Constitution fédérale suisse dit clairement que la Confédération doit prendre en compte les villes dans son action. Cet article est largement ignoré dans les faits. A Genève, territoire de moins de 300 km2 composé de 45 communes, 15 municipalités peuvent revendiquer le statut de ville au sens des définitions suisses. Les villes genevoises représentent donc 85% de la population et 90% des emplois ! Il n’empêche que leurs réalités sont très peu prises en compte dans les mécanismes institutionnels genevois, avec une forte prépondérance politique et institutionnelle des petites communes, notamment les communes très riches. Malheureusement, la situation genevoise s’apparente presque à une lutte des classes, ce qui est fort regrettable !
Heureusement, la situation évolue aussi bien localement que sur le plan fédéral ou au niveau international. Les réseaux des villes comme CGLU s’engagent très activement faire entendre la voix des pouvoirs locaux. D’ailleurs la Ville de Genève et le Canton de Genève ont décidé d’adhérer conjointement au réseau mondial des métropoles Metropolis, un geste fort pour assurer une présence adéquate pour Genève sur le plan international. Le Forum des Maires a ainsi donné l’occasion d’adopter officiellement une déclaration à l’intention des Etats et surtout d’interagir directement avec des agences onusiennes aussi importantes que l’OMS ou le Haut-Commissariat aux réfugiés. Récemment encore, le Global Cities Hub, plateforme d’interaction entre le monde des pouvoirs locaux et les acteurs de la gouvernance multilatérale, constitué par la Ville de Genève et le Canton de Genève avec un appui important de la Confédération, a pu initier et intensifier des échanges directs avec l’UIT, le CICR, la FICR, l’UNICEF et d’autres. Le Conseil administratif de la Ville de Genève a par ailleurs rencontré récemment le nouveau Haut-Commissaire aux droits humains des Nations Unies qui a souligné le fait que les droits humains, qu’ils soient civiques, politiques, sociaux, culturels ou autres, ne peuvent être pleinement concrétisés sans la contribution essentielle des pouvoirs locaux. Quant à l’enjeu plus global de la place de ces pouvoirs locaux dans le dispositif officiel de gouvernance multilatérale, le Secrétaire général des Nations Unies a annoncé ce vendredi 6 octobre 2023 la mise en place d’un groupe de travail chargé de faire évoluer tout le dispositif dans ce sens.
Sur le plan suisse, les barrières sont nombreuses, à commencer par la prééminence excessive des petits cantons dans notre Constitution et nos institutions. Toutefois la prise de conscience évolue, trop lentement à mon goût. Aujourd’hui, un-e élu-e d’Appenzell Rhodes-intérieures au Conseil des Etats (1 siège de demi-canton) représente un peu plus de 16’000 habitant-e-s, tandis qu’un-e même élu-e pour Zurich (2 sièges par canton), avec les mêmes pouvoirs, représente 789’983 habitant-e-s, plus de 48x plus !
Sur le plan genevois, la situation est similaire. L’Association des communes genevoises (ACG), organe officiel de représentation des communes et institué par une loi cantonale dans un processus très top-down bien peu représentatif de la démocratie helvétique, fonctionne la plupart du temps sur un système « une commune / une voix ». Ainsi, la voix des habitant-e-s de la Ville de Genève compte pour plus de 408x moins que celle de Gy.
Par ailleurs, les chiffres très concrets issus des 3 études publiques récemment par l’UVG montent à quel point il est urgent de prendre très sérieusement en compte les réalités des villes : sur 8 villes membres, 5 ont des charges sociales nettement au-dessus de la moyenne des autres communes du Canton (entre 30% et presque 200% selon les cas). Et toutes assument des charges de ville-centre parfois très au-dessus de la moyenne cantonale (entre 142 et 1’299 francs par habitant-e et par an). Ceci alors que la plupart des villes ont un revenu médian par habitant plus bas que la moyenne cantonale (péréquation inclue !). Cherchez l’erreur !
L’objectif n’est pas de remplacer ou de marginaliser d’autres acteurs institutionnels mais d’admettre que, sans les villes, il manque très clairement une composante essentielle lorsque nous évoquons des enjeux comme les flux migratoires, les causes et surtout les impacts très concrets du changement climatique, les inégalités sociales, l’impact de la numérisation, etc. Aussi bien les constats et les diagnostics que les solutions ne seront pas aussi pertinents si on ne prend pas en compte les villes !