Début mai, j’ai présenté avec mon collègue Alfonso Gomez, en charge du service Agenda 21, un plan d’action portant sur les enjeux que posent les hommages rendus dans l’espace public à des personnalité ayant encouragé le racisme ou le colonialisme. Celui-ci vise deux objectifs : assurer que la mémoire de ces actes ne se perde pas et donner à comprendre le contexte de ceux-ci, mais aussi rectifier les hommages rendus dans l’espace public à des personnalités dont au moins une partie de l’action devrait tout autant être dénoncée.
Cette démarche, je l’ai initiée dès mon année de mairie en 2020, avec l’étude « temps, espaces et histoires – Monuments et héritage raciste et colonial dans l’espace public genevois : état des lieux historique », confiée aux professeurs Mohamed Mahmoud Mohamedou et Davide Rodogno, de l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID). Celle-ci passe en revue 33 cas et proposait 10 pistes d’action, allant de ne rien faire (« inaction ») à supprimer le symbole, le nom de rue ou le monument (« destruction »). Sur ces 33 cas, tous sont nuancés, montrant par exemple certains apports bénéfiques, à l’image de Carl Vogt, grand réformateur et partisan de l’ouverture de l’Université aux femmes, mais également auteur de prises de positions racistes marquées.
Il convenait donc de ne pas en rester là. L’intention politique est de mettre en place une action qui permette à chacun et chacune de prendre connaissance et conscience de ce passé, dans toute sa complexité, sans nier les prises de positions racistes ou les agissements en lien avec le commerce triangulaire, par exemple.
On entend souvent, par exemple, que les prises de positions racistes, postulant la suprématie d’une soi-disant « race » sur une autre, étaient courantes à une certaine époque. Un argument qui ne tient pas et pour lequel on doit justement rappeler que déjà à l’époque (en particulier au 18ème et au 19ème siècles), des personnalités ont assumé et défendu avec autorité des positions anti-racistes.
Dans le plan d’action récemment validé, le Conseil administratif a décidé de privilégier des actions de re-contextualisation. Cela ne signifie néanmoins nullement que les monuments et symboles problématiques resteront tels quels dans l’espace public. On peut en effet, en reprenant la terminologie de l’étude des Pr. Mohamedou & Rodogno, passer par un « vacillement » (le monument est descendu de son piédestal), le « voilage » temporaire ou pérenne, ou encore le « doublement » (dans lequel on accompagne le monument par un ou plusieurs monuments de nature opposée).
J’aimerais insister sur cette dernière possibilité. C’est celle qui a été retenue par la Ville de Neuchâtel pour la statue de David de Pury avec, à côté de la statue officielle, une petite statuette à l’envers réalisée par un artiste. Cette opération a eu le grand mérite d’être une des premières du genre en Suisse et de jouer ainsi un rôle d’exemple. Le résultat ont reçu un accueil mitigé, peut-être parce que la démarche n’a pas été assez concertée avec les milieux concernés et que l’œuvre n’a pas du tout une ampleur similaire à l’original.
Nous avons au sein du Département de la culture de la Ville de Genève une assez longue expérience de ces processus, par exemple avec le monument à la mémoire du génocide arménien. Cette approche me paraît particulièrement pertinente, car la démarche de concours artistique permet non seulement de faire connaître la problématique, mais aussi d’impliquer un regard d’artiste, qui sera forcément créatif et différent. Ceci facilite un accueil plus large, aussi auprès de gens qui ne s’y intéresseraient pas forcément. Une œuvre d’art est un excellent moyen pour mettre en place des actions pédagogiques et historiques, comme c’est le cas autour du génocide arménien, qui n’est toujours pas reconnu de manière universelle.
Ainsi, l’action prévue pour la Ville Genève, loin de simplement ajouter un QR-code sur des statues, se veut donc bien plus ambitieuse. Elle doit avoir des vertus à la fois restaurative, de mémoire et pédagogique. Nous ne pourrons pas réparer la tragédie de l’esclavage, du racisme et du colonialisme, mais nous devons la comprendre et la faire comprendre, pour plus qu’elle ne puisse plus se répéter.