L’attaque d’une rare violence du Président de l’UDC Marco Chiesa contre les villes à l’occasion de la Fête nationale (moment censé être plutôt rassembleur autour des valeurs et atouts de notre beau pays !) n’est pas seulement profondément choquante sur le langage utilisé (« éliminer les parasites », « nous déclarons la guerre », etc.) mais totalement erronée face aux faits. Au-delà du caractère outrancier et déplacé de ce discours, la réalité est que les villes constituent le poumon économique, culturel et social du pays, et assument de nombreuses charges qui bénéficient à la population dans son ensemble.
6 cantons suisses, dont 3 fortement urbanisés (Zurich, Genève, Bâle) financent toute la péréquation intercantonale (près d’un milliard de francs en 2022 !), bénéficiant notamment à des cantons principalement ruraux et montagnards. Genève verse ainsi 150 millions de francs en 2022. Deux tiers des emplois de ce pays sont situés dans les villes, dont la majorité des grandes entreprises. 84% de la performance économique du pays est issue des villes ! Et les villes au sens large, quelle que soit leur nature, assument des prestations publiques qui bénéficient à l’ensemble de leur région, voire au pays entier, si l’on pense à l’offre culturelle ou sportive, à l’action sociale de proximité pour soutenir les personnes défavorisées, aux infrastructures collectives. Ainsi, selon une étude menée en 2017 par le bureau Ecoplan sur mandat de l’Union des Villes Suisses, les habitantes et habitants des villes assument en moyenne entre 300 et 400 francs par tête de charges de ville-centre, montant qui passe à 600 francs par tête à Berne ou Lausanne, et à 1’000 francs par tête à Genève. Un sixième du budget annuel de la Ville de Genève (soit 200 millions sur 1.2 milliards de francs) représente des charges assumées au bénéfice de personnes résidant hors du territoire municipal, dont 20 à 30 millions pour les communes campagnardes et rurales, et 30 à 40 millions pour les communes de France voisine (elles, au moins, restituent ce montant par le biais de l’imposition à la source des personnes frontalières).
Et les villes sont très clairement un véritable foyer d’innovation pour le pays entier, dans tous les domaines : économique, numérique, culturel, social, urbanistique, écologique.
Dans ce pays, on pourrait au contraire rappeler à quel point le décalage entre le poids réel des villes et leur prise en considération dans les institutions fédérale est béant. Comme j’ai eu l’occasion de le dire au nom de l’Union des Villes Suisses lors de la Conférence sur le fédéralisme à Bâle le 27 mai 2021, l’article 50 de la Constitution fédérale prescrit (depuis l’an 2000 !) que la Confédération doit tenir compte des conséquences de son activité pour les communes et prendre en considération la situation particulière des villes et des agglomérations – et des régions de montagne. Hélas, même vingt ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, cet article est rarement respecté par les autorités fédérales et cantonales. Les villes et les communes viennent d’en faire une nouvelle fois la douloureuse expérience avec la pandémie du coronavirus : charges accrues, suppression de la référence aux villes dans la Loi Covid, oubli complet des villes dans le dispositif d’évaluation de la crise, etc. Et la répartition accrue des bénéfices de la Banque nationale suisse(BNS) est réservée aux cantons ; pas un franc pour les villes ! Un sondage récent montre que les finances des villes ont plus souffert des conséquences actuelles de la crise que celles des cantons, et que ce phénomène risque de s’accentuer ces prochains mois avec le creusement des inégalités sociales.
Le vrai défi de ce pays ne réside pas dans les coûts excessifs qui seraient générés par les villes, mis bien au contraire dans le blocage qui péjore gravement la représentation adéquate des villes et de leurs populations dans notre système fédéral suisse.
Ainsi, lors des votations populaires, le système de la majorité des cantons fait que les petits cantons ruraux ont beaucoup plus de poids que les grands cantons urbains. Cette pondération a été voulue à l’origine, pour protéger les plus petits. Mais depuis 1848, le ratio est devenu indécent. À l’époque de la fondation de l’État fédéral, une voix du demi-canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures avait autant de poids que onze voix du canton de Zurich. Aujourd’hui, on en est à quarante voix. Comme le rappelle la Tribune de Genève dans son édition du 4 août 2021, c’est au contraire le monde rural et montagnard qui domine la plupart du temps les votations fédérales !
Cette situation se traduit aussi par le poids disproportionné des zones rurales et montagnardes par rapport aux villes au Conseil des États. Le déséquilibre a fortement augmenté depuis 1848. Il est donc temps de proposer et concrétiser des adaptations du système politique suisse, afin d’arriver à une représentation adéquate des villes et de leurs habitantes et habitants. Mais pas les villes contre les campagnes! De toute manière, la grande majorité des personnes habitant à la campagne sont liées aux villes, par leur activité professionnelle ou leurs loisirs. Le vrai défi du fossé villes-campagnes, qui s’est aussi traduit dans les urnes le weekend du 13 juin, réside dans l’avenir de la politique agricole, lourdement subventionnée (par le monde urbain, principalement !!!) mais dont on peut discuter très clairement les priorités : elle maintient un système archaïque, qui péjore à la fois la plupart des paysans qui doivent vivre d’un revenu très bas, empêche une reconversion écologique et coûte très cher, pour le seul bénéfice des gros producteurs de l’agriculture industrielle, souvent très proches de l’UDC. Comme souvent, l’UDC ne mène son action politique que par le biais de l’agression, de la division et du mépris, pour protéger des intérêts particuliers.
Notre pays peut se très bien se passer de ce type de politique parasite, particulièrement nocive et toxique !
carte: www.swissinfo.ch
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