Genève ville créative

Le blog de Sami Kanaan

  • Célébrer le vélo, révolution du 19ème comme du 21ème siècle

    Moyen idéal de locomotion urbaine au quotidien, le vélo a été une révolution pour les ouvrières et ouvriers du 19ème et surtout de la première moitié du 20ème siècle, leur offrant la possibilité de se déplacer sur des distances jusque-là inconnues et avec une facilité déconcertante, comme l’explique très bien Frédéric Héran dans son livre « Le retour de la bicyclette ». La Ville vient précisément de vernir une nouvelle exposition qui revient sur cette histoire révolutionnaire qu’est l’invention du vélo, grâce à une belle collaboration entre le Muséum d’histoire naturelle et le Musée d’art et d’histoire, avec également la Bibliothèque de Genève, à découvrir au Rath jusqu’au 13 octobre.

    Si le vélo est un sujet historique, une invention révolutionnaire qui aura totalement modifié le quotidien de millions de gens, c’est également un sujet pleinement d’actualité. C’est un sujet très vaste qui a passionné – et passionne encore bien sûr – les scientifiques, les historiens et les historiennes, les inventeurs et les inventeuses, les sociologues, les psychologues, les urbanistes, les designers, les philosophes ou encore les médecins. Car le vélo est bien plus qu’une machine. C’est un symbole. L’exemple parfait de l’extraordinaire capacité d’innovation humaine, avec un objet d’une simplicité apparente mais d’une efficacité énergétique sans pareil.

    Einstein aurait (peut-être) dit que « La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre ». Car le vélo, c’est aussi cet apprentissage de l’équilibre en mouvement, qui n’existait pas avant lui, et qui est tellement fort symboliquement, sur notre capacité à aller de l’avant face aux déséquilibres du monde. Notre capacité à évoluer, à changer, pour conserver notre équilibre.

    Mais le vélo est aussi devenu un objet de collection. Et donc un objet d’étude pour les musées. Le MAH conserve quelques magnifiques exemplaires de ces vélos pionniers du 19ème siècle. Telle la draisienne, inventée en 1817 sous le nom de « laufmaschine » par le baron Karl Von Drais pour pallier l’absence de chevaux durant une terrible année sans été à cause d’une éruption volcanique (le même été qui verra la rédaction du Frankenstein de Mary Shelley sur les hauteurs colognotes du Léman). Mais aussi des grands bis dont la roue avant s’est sans cesse agrandie, dans une recherche périlleuse de vitesse, jusqu’à ce que l’invention de la transmission par chaîne ou courroie, en 1869 par Charles Desnos.

    Ainsi le vélo, ou plutôt les vélos dans leur diversité, font partie des collections patrimoniales de la Ville. Cela faisait sens d’en faire une exposition. Mais pour cela, il fallait encore faire dialoguer les compétences et les connaissances de personnes attachées à l’une ou l’autre de nos institutions, ou d’ailleurs ! J’aimerais donc saluer la volonté de Muséum Genève et du Musée d’art et d’histoire de s’associer pour nous permettre de plonger dans l’univers des vélos, tricycles, bicyclettes, triporteurs et j’en passe. Et d’avoir su non seulement travailler ensemble, mais de nouer des partenariats aussi divers et fructueux qu’avec la Bibliothèque de Genève et son Centre d’iconographie, ou encore l’association Pro-Vélo.

    C’est dans de telles occasions que l’on constate la pertinence et l’importance de notre place muséale. Et c’est ainsi que nous pouvons faire des propositions pertinentes à l’ensemble de la population, offrir aux Genevoises et aux Genevois la possibilité de découvrir notre patrimoine commun et sa raison d’être. Parce que les collections nous parlent de notre histoire, de notre curiosité, de notre inventivité, de ce qui nous lie aussi bien que ce qui relie notre passé à notre présent. Et nous ramène donc aux enjeux de notre temps, en l’occurrence, les défis climatiques, environnementaux, ou simplement de mobilité.

    Aujourd’hui, face à ces défis qui doivent être urgemment relevés, qu’on le veuille ou non, il nous faut remettre le vélo au centre de la cité. Les rues ne peuvent pas être agrandies. C’est une réalité technique, pas un choix politique. Nous devons donc retrouver la sagesse de nos (arrière) grands-parents et retrouver des formes de sobriété efficace, dont le vélo est une des plus belles émanations.

    En 2008, Christine Lagarde, alors ministre française de l’économie, a manqué de peu le Prix de l’humour politique avec sa déclaration : « Pour faire face à la hausse du prix du pétrole, je conseille aux Français de faire du vélo. » Les temps ont changé : aujourd’hui, cette phrase ne peut plus être envisagée comme un trait d’humour. C’est bien plutôt un conseil sensé. Et pas seulement en raison d’une hausse de prix !

    Nous devons donc redonner au vélo une vraie place dans l’espace public. Cependant, pour que cette nécessité soit perçue et admise, il est bon de montrer à quel point cet objet n‘est pas une lubie d’écolo, une nuisance dans les parcs ou un outil de rééducation après accident.

    Sans être politique, l’exposition Vélos : équilibres en mouvement y participe. Elle permet de retracer avec la rigueur scientifique propre aux musées, l’évolution de cette invention, de découvrir ses multiples utilisations et ce qu’elle a représenté pour les différentes classes sociales tout au long des siècles.

    J’aimerais donc vous inviter chaleureusement à aller la découvrir et souhaite ici remercier les équipes de Muséum Genève et du Musée d’art et d’histoire pour cette belle collaboration.

    Et je vous invite bien sûr tous et toutes à pédaler, mais plus encore à faire attention à la sécurité des piétons comme de la vôtre !

    Le pont du Mt-Blanc, en 1948 – photo d’Alfred (dit Freddy) Bertrand, propriété de la Ville de Genève/Centre d’iconographie de la BGE: https://www.bge-geneve.ch/iconographie/oeuvre/fb-p-480-07

  • Les « Faiseurs de Suisses »… plus que jamais!

    À quelques jours de la votation sur les droits politiques des personnes étrangères résidant à Genève depuis 8 ans ou plus, il vaut la peine de prendre connaissance d’un rapport particulièrement choquant publié par la Commission fédérale des migrations publié le 23 mai 2024.

    La CFM documente à quel point – avec le durcissement des critères de naturalisation (nouvelle loi de 2018) -, celle-ci est de plus en plus réservée aux personnes avec un haut niveau d’études. Comme l’indique le Communiqué de presse de la CFM, « sur cette période (soit les 3 années après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi), environ un tiers des personnes naturalisées selon l’ancien droit disposaient d’un diplôme universitaire, contre près de deux tiers selon le nouveau droit. En revanche, la part des personnes n’ayant pas poursuivi leur formation au-delà de l’école obligatoire est passée de 23.8 à 8.5 pour cent. » Il y a une véritable sélection socio-économique et socioculturelle!

    Les opposant.e.s aux droits politiques pour les personnes étrangères chantent les louanges de la naturalisation comme LE moyen de concrétiser l’intégration. C’est à choix de la naïveté sur la réalité de la procédure de naturalisation en Suisse, ou de la mauvaise foi. En tout cas un déni de réalité. La majorité de droite au Parlement fédéral a durci successivement les règles, aussi bien en matière de permis de séjour et d’établissement (obtention et renouvellement), qu’en matière de naturalisation. Message de base: on ferme les portes à l’intégration tout en faisant appel à une main-d’œuvre étrangère malléable et corvéable à merci. C’est une manière beaucoup plus méthodique et construite de fermer cette porte qu’à l’époque du célèbre film « Les Faiseurs de Suisses » de Rolf Lissy sorti en 1978. Comme en aucun cas je ne me permettrai de considérer les opposant.e.s comme naïfs ou naïves, on peut donc considérer cette stratégie comme totalement assumée.

    Pourtant, le calcul est faux à plusieurs titres. Déjà pour des raisons de principe en lien avec une posture d’ouverture aux autres, fondamentale dans un pays dont une bonne partie de la prospérité est due à l’apport de personnes d’ailleurs, ensuite afin de limiter les facteurs d’exclusion sociale et culturelle dans une société riche mais très inégale. Ceci est particulièrement pertinent à Genève, qui se targue d’être une société multiculturelle et ouverte au monde ; les déclarations récentes des 3 Conseillères d’Etat de droite contre l’Initiative « Une vie ici, une voix ici » soumise au vote le 9 juin semblent montrer un net recul de cet état d’esprit.

    Mais c’est aussi un calcul très faux en termes d’analyse de nos besoins présents et futurs en considérant l’évolution démographique de notre pays, marquée par un vieillissement de plus en plus rapide de la population indigène. Une nette majorité a voté la 13ème rente AVS le 3 mars 2024 et on ne peut que s’en réjouir ! Mais il faudra des personnes actives pour contribuer à la financer, et surtout aussi des personnes actives pour s’occuper de nos aînées et aînés dans tous les domaines où ils et elles auront besoin de nous. La même droite pleure en permanence le manque de main d’œuvre qualifiée dans de nombreux domaines, notamment techniques, et le service public manque de plus en plus de personnel pour les métiers du « care » au sens large (santé et social). Mais cette droite s’oppose énergiquement à toute mesure de politique familiale (soutien à la petite enfance, allocations familiales, congé parental), et pour une partie elle combat aussi l’ouverture à l’Europe, durcit les conditions de séjour pour les personnes étrangères et assume une naturalisation réservée à l’élite. Cherchez l’erreur !

    En tout cas, le 9 juin, il est légitime et pertinent de voter oui avec conviction à l’introduction des droits politiques pour les personnes résidentes depuis de nombreuses années dans notre canton. Elles contribuent très activement à sa prospérité, à son développement et à sa richesse culturelle !

  • Monuments et héritages racistes dans l’espace public : comprendre notre passé et agir pour ne pas refaire les mêmes erreurs

    Début mai, j’ai présenté avec mon collègue Alfonso Gomez, en charge du service Agenda 21, un plan d’action portant sur les enjeux que posent les hommages rendus dans l’espace public à des personnalité ayant encouragé le racisme ou le colonialisme. Celui-ci vise deux objectifs : assurer que la mémoire de ces actes ne se perde pas et donner à comprendre le contexte de ceux-ci, mais aussi rectifier les hommages rendus dans l’espace public à des personnalités dont au moins une partie de l’action devrait tout autant être dénoncée.

    Cette démarche, je l’ai initiée dès mon année de mairie en 2020, avec l’étude « temps, espaces et histoires – Monuments et héritage raciste et colonial dans l’espace public genevois : état des lieux historique », confiée aux professeurs Mohamed Mahmoud Mohamedou et Davide Rodogno, de l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID). Celle-ci passe en revue 33 cas et proposait 10 pistes d’action, allant de ne rien faire (« inaction ») à supprimer le symbole, le nom de rue ou le monument (« destruction »). Sur ces 33 cas, tous sont nuancés, montrant par exemple certains apports bénéfiques, à l’image de Carl Vogt, grand réformateur et partisan de l’ouverture de l’Université aux femmes, mais également auteur de prises de positions racistes marquées.

    Il convenait donc de ne pas en rester là. L’intention politique est de mettre en place une action qui permette à chacun et chacune de prendre connaissance et conscience de ce passé, dans toute sa complexité, sans nier les prises de positions racistes ou les agissements en lien avec le commerce triangulaire, par exemple.

    On entend souvent, par exemple, que les prises de positions racistes, postulant la suprématie d’une soi-disant « race » sur une autre, étaient courantes à une certaine époque. Un argument qui ne tient pas et pour lequel on doit justement rappeler que déjà à l’époque (en particulier au 18ème et au 19ème siècles), des personnalités ont assumé et défendu avec autorité des positions anti-racistes.

    Dans le plan d’action récemment validé, le Conseil administratif a décidé de privilégier des actions de re-contextualisation. Cela ne signifie néanmoins nullement que les monuments et symboles problématiques resteront tels quels dans l’espace public. On peut en effet, en reprenant la terminologie de l’étude des Pr. Mohamedou & Rodogno, passer par un « vacillement » (le monument est descendu de son piédestal), le « voilage » temporaire ou pérenne, ou encore le « doublement » (dans lequel on accompagne le monument par un ou plusieurs monuments de nature opposée).

    J’aimerais insister sur cette dernière possibilité. C’est celle qui a été retenue par la Ville de Neuchâtel pour la statue de David de Pury avec, à côté de la statue officielle, une petite statuette à l’envers réalisée par un artiste. Cette opération a eu le grand mérite d’être une des premières du genre en Suisse et de jouer ainsi un rôle d’exemple. Le résultat ont reçu un accueil mitigé, peut-être parce que la démarche n’a pas été assez concertée avec les milieux concernés et que l’œuvre n’a pas du tout une ampleur similaire à l’original.

    Nous avons au sein du Département de la culture de la Ville de Genève une assez longue expérience de ces processus, par exemple avec le monument à la mémoire du génocide arménien. Cette approche me paraît particulièrement pertinente, car la démarche de concours artistique permet non seulement de faire connaître la problématique, mais aussi d’impliquer un regard d’artiste, qui sera forcément créatif et différent. Ceci facilite un accueil plus large, aussi auprès de gens qui ne s’y intéresseraient pas forcément. Une œuvre d’art est un excellent moyen pour mettre en place des actions pédagogiques et historiques, comme c’est le cas autour du génocide arménien, qui n’est toujours pas reconnu de manière universelle.

    Ainsi, l’action prévue pour la Ville Genève, loin de simplement ajouter un QR-code sur des statues, se veut donc bien plus ambitieuse. Elle doit avoir des vertus à la fois restaurative, de mémoire et pédagogique. Nous ne pourrons pas réparer la tragédie de l’esclavage, du racisme et du colonialisme, mais nous devons la comprendre et la faire comprendre, pour plus qu’elle ne puisse plus se répéter.

  • L’IA : un cambouis technique, humain et philosophique

    L’intelligence artificielle (IA, en anglais AI) – au-delà de son effet de « hype » – ne doit pas être comprise comme une mode passagère, un « trend » à investir, mais bien comme un enjeu de société à empoigner de manière multifactorielle et en préparant ses conséquences sur le temps long. Sans doute pas très politique, me direz-vous…

    Comme la technologie des chaines de blocs (plus connue par son appellation en anglais, « blockchain »), il y a quelques temps, il est aujourd’hui de bon ton pour les collectivités publiques (comme pour les entreprises privées) de se ménager des effets d’annonce plus ou moins tonitruants sur leur(s) nouveau(x) service(s) utilisant l’IA. Pourtant, l’enjeu est bel et bien un enjeu de société, que nous devrions considérer sur le temps long et dans ses enjeux à la fois techniques, mais aussi en matière de ressources humaines, de formation, d’éducation, d’écologie, d’éthique, etc.

    La Ville de Genève a fait le choix de se lancer dans la réflexion, mais sans précipitation. Nous avons organisé dès 2020 des formations et espaces de réflexion à destination des employées et employés municipaux, nos services informatiques testent les possibilités via des projets-pilotes, et nous avons mis sur pied un groupe de travail interdépartemental pour réfléchir de manière coordonnée aux implications métiers.

    Plus récemment, nous avons mis en place différents « disclaimer » à destination des employé-es de manière à leur rappeler les règles existantes en matière de traitement des données confidentielles qu’elles et ils sont amenés à traiter dans le cadre de leur fonction, avec notamment la règle d’or de ne JAMAIS entrer dans une application externe d’IA (comme ChatGPT ou COPILOT ou plein d’autres) des données confidentielles de l’administration, même si elles paraissent anodines, en accord avec la Politique des données de la Ville de Genève. Une telle saisie de données ne serait envisageable que dans une application avec laquelle des contrats très stricts en matière d’usage et de stockage des données auraient été conclus, par analogie à tout usage d’applications informatiques tierces utilisées par l’administration.

    Enfin, le Conseil administratif a récemment décidé, plutôt que de réinventer la roue, de faire siennes les excellentes lignes directrices édictées par la Confédération en matière d’utilisation de l’IA (placer l’humain au centre, assurer des conditions propices au développement et à l’utilisation de cette technologie, transparence, traçabilité et explicabilité, responsabilité en cas de dommage, sécurité des systèmes, participation active à la gouvernance, coordination et implication des acteurs pertinents aux différents échelons du fédéralisme) ; une version plus spécifiquement adaptée aux réalités de l’administration municipale sera envisagée après une période de « rodage ».

    Le Conseil administratif a également approuvé la reprise, dans un registre beaucoup plus pratique, des fiches techniques et aide-mémoires édictés par la Confédération, notamment en ce qui concerne les logiciels de traduction du type DeepL ou l’excellent service suisse TextShuttle.

    Un processus qui s’ouvre donc et qui doit être poursuivi, sans se résumer à des effet d’annonces mais en mettant les mains dans un cambouis tout à la fois technique, humain et philosophique ; la Ville s’y atèle dans le cadre plus large de sa Politique numérique qui, pour mémoire, s’articule autour des 3 valeurs suivantes, une approche du Numérique qui soit responsable, inclusive et innovante

  • Les médias vont mal. Et notre démocratie ?

    Les médias vont mal. Ce n’est pas nouveau et le tournant a été amorcé lorsque les grands éditeurs de ce pays ont décidé que les petites annonces (entre autres) qui les finançaient n’avaient plus à le faire et qu’ils les exportaient sur des plate-formes tierces (Anibis détenue par Ringier, Ricardo par TX-Group par exemple), ceci en parallèle d’un mouvement d’exode global de la publicité des médias suisses vers des acteurs globaux du numérique, les GAFAM (Google et Facebook, surtout). Cette situation dure depuis des années. Mais passé les premiers temps durant lesquels certains ont imaginé pouvoir mettre en place d’autres modèles d’affaire pérennes ou que le numérique allait tout résoudre, on se rend compte aujourd’hui que la situation continue d’empirer et devient toujours plus préoccupante pour la démocratie. Pourtant, outre des initiatives locales, que font nos élues et élus à Berne ? Pas grand-chose malheureusement…

    La démocratie n’a sa raison d’être que dans une société civile forte, dans laquelle circule une pluralité d’opinions et une information de qualité, pour lesquelles nous n’avons pas trouvé de meilleur levier durable que des journalistes professionnel-le-s répondant à la charte de déontologie de leur métier, avec une grande diversité de titres (quotidiens, hebdomadaires, mensuels, radios, etc.).

    Il a souvent été question, aux prémices du numérique, de journalisme-citoyen. Le festival Open Geneva vient d’en faire le sujet de sa passionnante soirée d’ouverture (avec des propositions tout à fait novatrices pour renforcer l’information locale, notamment le projet Polaris). Pourtant, rien ne remplace le travail professionnel de recherche, de recoupement et de vérification de l’information, de mise en contexte, etc. propre au métier de journaliste. Tous les faits ne se valent pas et le travail des journalistes et bien de mettre en lumière, de hiérarchiser, d’apporter un contexte et des explications à ces faits. De leur donner du relief et ainsi, de mettre leurs compétences au service de l’échange démocratique.

    Cette fonction oh combien importante est progressivement mise à mal par la diminution des équipes des principaux médias, mais aussi par une perte de pluralité et une certaine mainmise sur les titres de journaux (pourquoi croyez-vous que Christophe Blocher a racheté près de 30 journaux et médias locaux ces dernières années : certainement pas par bonté d’âme, mais pour gagner en influence idéologique et politique, comme le font Vincent Bolloré en France ou plus anciennement Rupert Murdoch au Royaume-Uni et aux Etats-Unis).

    Face à cette situation, certaines autorités locales tentent de réagir. Depuis 2018, j’ai essayé d’initier un soutien conjoint à l’échelle romandes des cantons et principales villes. Si Lausanne (qui a depuis déployé un paquet d’aides aux médias) et le Canton de Genève (qui déploie également des mesures propres) ont répondu présents, ça n’a pas été le cas des autres et les initiatives se sont opérées de manière décoordonnées. La Ville avait en parallèle mis en place une palette d’aides ponctuelles très locales de soutien aux dynamismes des médias, soutenant leur plus-value pour la vie citoyenne démocratique.

    Néanmoins, seul un soutien coordonné et cohérent à l’échelle de la Suisse romande (ou mieux à l’ensemble de la Suisse) ferait sens pour apporter l’aide structurelle nécessaire. Je ne désespère pas que le projet de fondation romande puisse que j’avais proposé puisse voir le jour dans un avenir prochain. Un think tank comme Nouvelle Presse, mené par l’ancien Conseiller national et Conseiller aux Etats vaudois Luc Recordon, pourrait en constituer l’une des bases.

    Je m’étonne en revanche du manque d’engagement flagrant des autorités fédérales, dont on ne voit rien émerger qui puisse apporter une réponse convaincante et durable. Récemment, on a vu apparaître de la part du Conseil fédéral un rapport en réponse au postulat déposé par la Conseillère nationale Katja Christ. Une réponse qui constitue un emplâtre sur une jambe de bois, très probablement par peur de rouvrir un véritable débat public après l’échec fort regrettable de la réforme refusée par le peuple en février 2022. Nul doute que ce paquet, pourtant minimal, subira les foudres de tous les chantres du libéralisme effréné prétendant croire aux vertus du marché, malgré les évidents dysfonctionnements de celui-ci. Ce positionnement dogmatique est comme par hasard soutenu activement par la plupart des grands médiatiques privés du pays, ceux-là même qui démantèlent de plus en plus vite leurs titres avec des dizaines de suppressions d’emplois (sans perspective de fin de cette hémorragie) tout en siphonnant allègrement tout ce qui rapporte, à commencer par le marché publicitaire.

    Parallèlement, le débat sur l’avenir de la redevance pour les médias ayant un rôle de service public a pris une nouvelle dimension avec la proposition du Conseil fédéral de diminuer celle-ci à 300 francs. L’Union des Villes Suisses a pris position très clairement en début d’année contre cette baisse, de même que la Ville de Genève bien évidemment. Je relève au passage que le Conseil d’Etat genevois a été un des rares cantons urbains à soutenir cette baisse, au nom d’un prisme idéologique complètement décalé, qui méprise objectivement les intérêts d’une collectivité multiculturelle, francophone de base, internationale et située aux lisières de notre pays !

    Dans sa prise de position, l’UVS a très justement fait le lien avec le soutien plus général aux médias. Car affamer la SSR ne donnera pas un franc de plus aux médias locaux quels qu’ils soient (par ex les radios et télévisions locales) et assurément pas plus aux titres « print  (presse imprimée, avec ou sans site web) qui contribuent à la pluralité de l’offre médiatique. Le combat pour le maintien de la redevance SSR est donc le même que celui pour l’octroi de soutiens aux médias.

    Il serait donc urgent que des élues et élus à Berne propose donc une aide globale et ambitieuse, qui préserve, voire renforce la diversité du paysage médiatique en Suisse, et par la même occasion en empêchant une razzia de la part de groupes étrangers qui menaceraient de peser sur notre vie démocratique en siphonnant les ressources de notre information. Ça sonne un peu nationaliste sur les bords ? Patriotique en tout cas, soit mon attachement à la richesse et la complexité de notre vie démocratique, avec notamment la démocratie directe qui implique une participation active et durable des citoyennes et citoyens et qui nécessite donc une offre médiatique diversifiée. Ceci montre qu’il devrait y avoir des possibilités d’alliances, si des propositions étaient énoncées et si la droite est cohérente. ABE !

Sami Kanaan est Maire de Genève 2014-2015, 2018-2019 et 2020-2021, Conseiller administratif en charge du Département de la culture et du sport, puis de la culture et du numérique, Président de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, Vice-président de l’Union des villes suisses et Président de l’Union des villes genevoises.

suite…

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