Genève ville créative

Le blog de Sami Kanaan

  • Les médias vont mal. Et notre démocratie ?

    Les médias vont mal. Ce n’est pas nouveau et le tournant a été amorcé lorsque les grands éditeurs de ce pays ont décidé que les petites annonces (entre autres) qui les finançaient n’avaient plus à le faire et qu’ils les exportaient sur des plate-formes tierces (Anibis détenue par Ringier, Ricardo par TX-Group par exemple), ceci en parallèle d’un mouvement d’exode global de la publicité des médias suisses vers des acteurs globaux du numérique, les GAFAM (Google et Facebook, surtout). Cette situation dure depuis des années. Mais passé les premiers temps durant lesquels certains ont imaginé pouvoir mettre en place d’autres modèles d’affaire pérennes ou que le numérique allait tout résoudre, on se rend compte aujourd’hui que la situation continue d’empirer et devient toujours plus préoccupante pour la démocratie. Pourtant, outre des initiatives locales, que font nos élues et élus à Berne ? Pas grand-chose malheureusement…

    La démocratie n’a sa raison d’être que dans une société civile forte, dans laquelle circule une pluralité d’opinions et une information de qualité, pour lesquelles nous n’avons pas trouvé de meilleur levier durable que des journalistes professionnel-le-s répondant à la charte de déontologie de leur métier, avec une grande diversité de titres (quotidiens, hebdomadaires, mensuels, radios, etc.).

    Il a souvent été question, aux prémices du numérique, de journalisme-citoyen. Le festival Open Geneva vient d’en faire le sujet de sa passionnante soirée d’ouverture (avec des propositions tout à fait novatrices pour renforcer l’information locale, notamment le projet Polaris). Pourtant, rien ne remplace le travail professionnel de recherche, de recoupement et de vérification de l’information, de mise en contexte, etc. propre au métier de journaliste. Tous les faits ne se valent pas et le travail des journalistes et bien de mettre en lumière, de hiérarchiser, d’apporter un contexte et des explications à ces faits. De leur donner du relief et ainsi, de mettre leurs compétences au service de l’échange démocratique.

    Cette fonction oh combien importante est progressivement mise à mal par la diminution des équipes des principaux médias, mais aussi par une perte de pluralité et une certaine mainmise sur les titres de journaux (pourquoi croyez-vous que Christophe Blocher a racheté près de 30 journaux et médias locaux ces dernières années : certainement pas par bonté d’âme, mais pour gagner en influence idéologique et politique, comme le font Vincent Bolloré en France ou plus anciennement Rupert Murdoch au Royaume-Uni et aux Etats-Unis).

    Face à cette situation, certaines autorités locales tentent de réagir. Depuis 2018, j’ai essayé d’initier un soutien conjoint à l’échelle romandes des cantons et principales villes. Si Lausanne (qui a depuis déployé un paquet d’aides aux médias) et le Canton de Genève (qui déploie également des mesures propres) ont répondu présents, ça n’a pas été le cas des autres et les initiatives se sont opérées de manière décoordonnées. La Ville avait en parallèle mis en place une palette d’aides ponctuelles très locales de soutien aux dynamismes des médias, soutenant leur plus-value pour la vie citoyenne démocratique.

    Néanmoins, seul un soutien coordonné et cohérent à l’échelle de la Suisse romande (ou mieux à l’ensemble de la Suisse) ferait sens pour apporter l’aide structurelle nécessaire. Je ne désespère pas que le projet de fondation romande puisse que j’avais proposé puisse voir le jour dans un avenir prochain. Un think tank comme Nouvelle Presse, mené par l’ancien Conseiller national et Conseiller aux Etats vaudois Luc Recordon, pourrait en constituer l’une des bases.

    Je m’étonne en revanche du manque d’engagement flagrant des autorités fédérales, dont on ne voit rien émerger qui puisse apporter une réponse convaincante et durable. Récemment, on a vu apparaître de la part du Conseil fédéral un rapport en réponse au postulat déposé par la Conseillère nationale Katja Christ. Une réponse qui constitue un emplâtre sur une jambe de bois, très probablement par peur de rouvrir un véritable débat public après l’échec fort regrettable de la réforme refusée par le peuple en février 2022. Nul doute que ce paquet, pourtant minimal, subira les foudres de tous les chantres du libéralisme effréné prétendant croire aux vertus du marché, malgré les évidents dysfonctionnements de celui-ci. Ce positionnement dogmatique est comme par hasard soutenu activement par la plupart des grands médiatiques privés du pays, ceux-là même qui démantèlent de plus en plus vite leurs titres avec des dizaines de suppressions d’emplois (sans perspective de fin de cette hémorragie) tout en siphonnant allègrement tout ce qui rapporte, à commencer par le marché publicitaire.

    Parallèlement, le débat sur l’avenir de la redevance pour les médias ayant un rôle de service public a pris une nouvelle dimension avec la proposition du Conseil fédéral de diminuer celle-ci à 300 francs. L’Union des Villes Suisses a pris position très clairement en début d’année contre cette baisse, de même que la Ville de Genève bien évidemment. Je relève au passage que le Conseil d’Etat genevois a été un des rares cantons urbains à soutenir cette baisse, au nom d’un prisme idéologique complètement décalé, qui méprise objectivement les intérêts d’une collectivité multiculturelle, francophone de base, internationale et située aux lisières de notre pays !

    Dans sa prise de position, l’UVS a très justement fait le lien avec le soutien plus général aux médias. Car affamer la SSR ne donnera pas un franc de plus aux médias locaux quels qu’ils soient (par ex les radios et télévisions locales) et assurément pas plus aux titres « print  (presse imprimée, avec ou sans site web) qui contribuent à la pluralité de l’offre médiatique. Le combat pour le maintien de la redevance SSR est donc le même que celui pour l’octroi de soutiens aux médias.

    Il serait donc urgent que des élues et élus à Berne propose donc une aide globale et ambitieuse, qui préserve, voire renforce la diversité du paysage médiatique en Suisse, et par la même occasion en empêchant une razzia de la part de groupes étrangers qui menaceraient de peser sur notre vie démocratique en siphonnant les ressources de notre information. Ça sonne un peu nationaliste sur les bords ? Patriotique en tout cas, soit mon attachement à la richesse et la complexité de notre vie démocratique, avec notamment la démocratie directe qui implique une participation active et durable des citoyennes et citoyens et qui nécessite donc une offre médiatique diversifiée. Ceci montre qu’il devrait y avoir des possibilités d’alliances, si des propositions étaient énoncées et si la droite est cohérente. ABE !

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Sami Kanaan est Maire de Genève 2014-2015, 2018-2019 et 2020-2021, Conseiller administratif en charge du Département de la culture et du sport, puis de la culture et du numérique, Président de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, Vice-président de l’Union des villes suisses et Président de l’Union des villes genevoises.

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