Genève ville créative

Le blog de Sami Kanaan

  • La culture, créatrice de valeurs à Genève

    Economie culturelle et créative : j’ai ouvert ce chapitre au cours de ma première législature, en 2014, alors que l’approche n’existait pas à Genève et était largement taboue. Je voulais d’une part démontrer – si besoin était – le rôle essentiel de la culture dans l’économie de la Cité, d’autre part identifier de nouveaux outils pour stimuler l’ancrage et le développement culturel à Genève sous de nouvelles formes.

    Lorsque l’on se lance dans un débat sur l’économie culturelle et créative, que ce soit sur les plans académique ou politique, on découvre avant tout la polysémie du terme. Il s’agit donc dans un premier temps de le  clarifier, et je soutiens, pour ma part, une vision politique large qui s’intéresse à la diffusion et aux effets de la créativité et de l’innovation dans l’économie, mais aussi dans la société. Une vision dans laquelle la mesure de l’impact économique de la culture ne repose pas uniquement sur la mesure de son importance économique directe, mais aussi sur son impact économique indirect ; sur la créativité, la qualité de vie, le lien social, la santé, l’innovation, la  citoyenneté… La culture est créatrice de valeurs – au pluriel.

    Du chemin a été fait et aujourd’hui pour une majorité, le lien fructueux entre l’un et l’autre domaine est aujourd’hui communément admis, tout en respectant pleinement l’autonomie et l’identité respectives des deux domaines que sont la culture et l’économie.

     

    Une prospérité culturelle

    Certes, la culture a un poids économique direct, comme l’a démontré l’étude menée en 2017 par la Haute Ecole de Gestion de Genève à la demande conjointe de la Ville et du Canton de Genève. Mais culture et créativité ont un impact tout aussi important en tant que facteurs de croissance et générateurs d’emplois, moteurs de l’innovation sociale et contributeurs à la qualité de vie. Des valeurs que l’on pourrait rassembler, dans une perspective consensuelle, sous le terme de « prospérité », qui fait sens dès lors qu’elle est durablement partagée, de manière équitable.

    « Créer de la prospérité à partir de l’effervescence culturelle », c’est sous ce titre que la Chambre de Commerce de Montréal Métropolitain (CCMM) a édité, au printemps 2017, une série de recommandations dans le cadre des consultations pour une nouvelle politique culturelle, menées par le Gouvernement du Québec. Dans ce document, la Chambre de Commerce de Montréal émet dix recommandations dont elle souligne, « qu’elles ne s’orientent pas nécessairement dans une optique de rentabilité commerciale ».

    Ces recommandations, qui se fondent sur trois axes – agir sur la demande, renforcer le développement de l’offre culturelle et enrichir le soutien à la culture – sont édifiantes. Elles expriment un véritable souci du bien commun de la part d’une institution dont la finalité semble a priori assez éloignée de celle des pouvoirs publics en charge des politiques culturelles ou de celles des artistes et acteur-trice-s culturel-le-s.

     

    10 recommandations de la Chambre de commerce de Montréal pour la culture

    Je relève notamment l’intérêt affiché par la Chambre de Commerce pour la « citoyenneté culturelle », renforcée par la numérisation des contenus et la multiplication des canaux de distribution. Ce n’est là qu’une des dix recommandations émises mais l’ensemble de la démarche est remarquable et c’est pourquoi j’ai souhaité les inviter à exposer à Genève les raisons et la manière dont elle s’implique dans la promotion et le soutien à la culture au Québec.

    Un forum pour le développement de la région

    Ce sera donc ce jeudi 15 novembre, au cours d’une journée de réflexion et d’un débat que mon Département organise conjointement avec la Chambre de commerce et d’industrie de Genève et la Banque cantonale de Genève.

    Je me réjouis donc qu’à Genève aussi, des acteurs et actrices économiques locaux et internationaux expriment un intérêt à réfléchir de manière constructive aux politiques culturelles, ensemble avec des acteurs et actrices culturelles, des artistes et des représentant-e-s des collectivités publiques, dans l’optique d’un souci commun pour le développement de la ville et de la région.

  • #ACTMedia: ouvert et offensif !

    Dystopie : dans 5 ans, plus aucun titre de la presse écrite sur support papier en Suisse romande. Au rythme où se succèdent les restructurations, ou plutôt les liquidations, on peut sérieusement le craindre. Peut-être 20 Minutes et le Matin Dimanche, mais je ne mettrais pas ma main au feu. Car on doit s’attendre à de nouvelles annonces de restructurations avec licenciements, très prochainement, si les rumeurs sont exactes. Et cela, aussi bien à la Tribune de Genève / 24 Heures qu’au Temps, dont l’existence même pourrait être en danger, malgré des résultats corrects en matière de lectorat et d’équilibre entre numérique et papier.

    Des rumeurs crédibles ? Malheureusement, au vu des récentes annonces et des échos venant de l’intérieur des rédactions. Las, le Temps n’atteindrait pas les 15% de rentabilité annuelle, objectif fixé par l’éditeur. Quand on sait que les titres Edipresse parvenaient au mieux à une rentabilité de 5-6% par an, on comprend bien qu’un tel objectif ressemble plus à une mise à mort programmée qu’à une véritable stratégie, certes risquée et audacieuse, mais réfléchie et constructive. Qu’est-ce qui peut rapporter 15% par an, aujourd’hui, à part des investissements à haut risque et spéculatifs ?

    Le schéma selon lequel de méchants éditeurs alémaniques auraient décidé de faire disparaître les titres romands – schéma facile que certains aiment propager – ne tient pas une seconde; les restructurations sont aussi drastiques en Suisse allemande, peut-être avec un certain décalage dans le temps, la différence se jouant aussi dans la taille du marché.

    Face à l’hécatombe : sortir de la plainte et chercher des solutions

    A Genève, on a vu successivement disparaître La Suisse et le Journal de Genève dans les années 1990 ; quant à la Tribune de Genève, elle s’est vue mise sous tutelle, avec une délocalisation de la plupart de ses rubriques à Lausanne, ne conservant que ses rubriques locales et culturelles, pour simplifier… Seuls résistent à Genève (pour combien de temps?) Le Courrier et quelques gratuits.

    Face à cette hécatombe, la messe semble dite. A chaque restructuration, le même scénario se déroule : des pleurs et des hurlements, de grandes déclarations choquées, de vaines tentatives de « médiation » de la part d’autorités cantonales auprès d’éditeurs qui n’en tiennent aucun compte… et la poussière retombe jusqu’à la prochaine étape de la démolition.

    Faut-il juste s’en accommoder ? Après tout, il reste les radios et télévisions locales, la RTS, et bien sûr un champ illimité d’options sur internet ! En réalité, plutôt que de conserver une attitude réactive et plaintive, il devient urgent de faire preuve de lucidité et de se poser quelques bonnes questions, afin de tenter de trouver des réponses adéquates.

     

    Préciser tout d’abord un certain nombre d’enjeux

    Premièrement, et même si ce n’est pas anodin, le glissement du papier vers le numérique n’est pas l’enjeu principal. Car dans le cas des médias, sauf exceptions, le papier va perdre du terrain, irrémédiablement. Les avantages du numérique, lorsque la publication est bien pensée, sont indéniables. Je ne suis pourtant pas un partisan forcené du « tout-numérique » et reconnais qu’il y a plusieurs domaines où le papier garde à la fois sa légitimité et son audience – c’est le cas de la littérature, des beaux-livres, des essais. Pour la presse, le réel enjeu, c’est l’existence de vecteurs d’information de qualité, avec une mise en perspective et une ligne rédactionnelle claire, qui contribuent à l’information vérifiée et vérifiable, et à la formation de l’opinion publique. A titre personnel, je reconnais n’acheter que rarement un journal papier et ne regarde qu’exceptionnellement une émission de télévision à l’heure prévue, à part les bulletins d’information. Et pourtant, je ne suis pas un « millenial »…

     

    Fake news et capacité démocratique

    Deuxièmement, il faut relever que les « fake news » ne sont pas en tant que telles une nouveauté dans l’histoire. Les théories du complot et autres médisances colportées au café du coin, voire générées dans les arrière-cours des différents lieux de pouvoir, sont vieilles comme l’humanité. C’est le caractère exponentiel de leur puissance toxique due à la vitesse et l’ampleur de diffusion que permet internet qui fait la différence. Comme bien d’autres éléments de notre société, ce sont la globalisation et la massification de ce phénomène, à une vitesse quasi luminique, qui en fait un élément particulièrement dangereux pour nos démocraties et l’Etat de droit si l’on ne réussit pas à construire des contrepouvoirs et à rétablir des équilibres.

     

    Business model historique cassé

    Troisièmement, il est utopique de croire que la majorité des grands éditeurs privés ait encore la moindre intention d’éditer des médias au sens classique du terme, qu’ils soient imprimés ou numériques. Cela ne rapporte pas assez. En partie par leur propre faute : ils ont en effet largement contribué à vider de leur substance économique les médias existants en captant leurs sources de recettes (annonces, gratuité massive, publicité) pour les séparer des supports éditoriaux. Une fois le business model historique fracassé, sans alternative, ils tirent la prise sans scrupules afin de préserver le bénéfice pour les actionnaires. A leur seule décharge, il est exact qu’eux-mêmes font aussi face à une concurrence très dure de la part des géants du net – Google, Amazon, Facebook, etc. – en matière de publicité en particulier. Comme le relatait la presse suisse le samedi 8 septembre, 80% des revenus publicitaires sont captés par les GAFA.

     

    Repenser les possibilités de soutien public… et la manière de les financer

    Quatrièmement, il devient incontournable d’évaluer franchement des options de financement incluant des fonds publics. Il est vrai que l’on entend souvent que les pouvoirs publics ne devraient pas s’impliquer dans le financement des médias, au nom de leur indépendance. Mais que faire face aux privés qui se retirent du secteur ? En tant que politiques, nous sommes devant un dilemme cruel : laisser le système s’effondrer en bonne partie ou soutenir des alternatives crédibles.

    En réalité, l‘enjeu en termes de financement privé (hors mécénat) est plus large: comment la Suisse, malgré son mantra ultra-libéral en matière de régulation, pourrait rejoindre d’autres pays dans les discussions sur les moyens de contraindre les multinationales du numérique à assumer leurs responsabilités diverses, dont fiscales, mais aussi en termes de co-financement de tâches d’intérêt public ? Je pense notamment à la diversité de la création audiovisuelle, mais aussi, pourquoi pas, à la diversité du paysage médiatique. Il faut pour cela briser le cercle vicieux où chacun des acteurs mène un lobbying forcené pour échapper à toute obligation, sous prétexte que ses concurrents directs ne sont pas soumis à la même obligation. Les opérateurs de téléphonie mobile comme Swisscom, les câblo-opérateurs comme UPC, les fournisseurs et diffuseurs de contenus de loisirs comme Netflix, et bien sûr les GAFA, etc., doivent contribuer, selon des règles à préciser, à cet effort dans l’intérêt général. « Médias Suisses » le relate de manière très claire dans la presse du 8 septembre, comme évoqué ci-dessus, et une force de régulation supranationale est indispensable.

     

    Quant aux enjeux démocratiques soulevés

    Cinquièmement, pour l’accès à l’information comme pour bien d’autres enjeux liés au numérique (cybercriminalité, protection de la sphère privée, marchandisation à outrance, mutations rapides et profondes du marché du travail, etc.), il est indispensable de renforcer massivement toutes les démarches visant à rendre les gens capables de mieux appréhender ce monde et à conserver la capacité de se compter en citoyennes et citoyens autonomes. Lors du débat sur l’initiative No Billag, beaucoup de jeunes ont démontré que, s’ils ne regardent plus la télévision selon une grille programmatique prédéfinie et ne lisent plus un journal « classique », il ressort néanmoins des études qu’ils recherchent toujours une information structurée et fiable, et comptent sur les médias, en particulier public, pour garantir un débat transparent et démocratique. Des éléments plutôt rassurants.

     

    Repenser la chaîne de valeur des médias…

    Sixièmement, enjeu connexe en lien avec le développement exponentiel de la production et la diffusion de contenus via le net : qui paie quoi et pour quelle valeur ? Car une prestation n’est jamais gratuite. Pourtant, sur le net comme dans les caissettes de 20 Minutes, cette illusion de gratuité domine. Or, si ce n’est pas le consommateur et/ou le contribuable qui paie, et hors cas de figure du mécénat ou du bénévolat, l’entreprise doit bien générer des recettes. La musique a servi de précurseur, non sans conséquences lorsqu’on voit la révolution compète et brutale des schémas de rémunération des artistes et autres acteurs de la chaîne musicale ! Ceci touche également les médias.

     

    La Loi sur les médias électroniques : une opportunité à saisir ?

    Septièmement, sur le plan fédéral se discute actuellement la révision de la loi sur la radio et télévision (LRTV), renommée loi sur mes médias électroniques (LME) mais dont on peut déjà craindre qu’elle manque largement sa cible. Ouvrant de nouvelles opportunités de soutien public au-delà de l’audiovisuel « traditionnel », ce qui est une nouveauté déjà importante par rapport à l’historique du domaine et aux majorités fédérales, elle reste néanmoins beaucoup trop timide. Nous en sommes néanmoins au stade de la consultation. La réflexion doit être menée rapidement pour permettre d’en faire l’outil dont les médias suisses ont besoin !

     

    Quelques propositions maintenant.

    Réunir les collectivités publiques

    Ce qui est possible dans le domaine culturel, à savoir des financements publics pour des projets ayant une dimension économique, et qui n’interférent pas dans les contenus et la programmation, devait être aussi possible dans les médias. On peut citer en exemple la belle démarche romande qui a permis la création en 2011 de Cinéforom, la Fondation romande pour le cinéma, ou, plus modestement, le soutien initié par la Ville et le Canton de Genève aux libraires indépendantes pour leur activité culturelle.

     

    Limiter la concurrence étrangère et élargir l’assiette de financement

    Une trop grande ouverture à la concurrence est néfaste ; ainsi le fait par exemple d’accepter comme c’est le cas aujourd’hui que des télévisions étrangères puissent faire de la publicité axée spécifiquement sur le marché suisse, alors qu’elles ne contribuent en rien au financement d’activités d’intérêt général, est absurde. En matière de partage du « gâteau publicitaire », la Confédération trouverait là une opportunité de réunir les différents acteurs suisses du domaine.

    Il faut également sérieusement traiter la question mentionnée ci-dessus de la contribution (qui ne serait pas du tout volontaire!) des différents opérateurs numériques à des enjeux d’intérêt général, ce qui inclut le fait de préserver et encourager un paysage médiatique diversifié.

     

    Reprenons l’initiative d’un débat ouvert et offensif !

    L’essentiel, en tout état de cause, est d’assumer ce débat de manière plus ouverte, offensive et créative que jusqu’à présent. Une contribution dans ce sens réside dans la journée que j’ai pris l’initiative d’organiser dans le cadre de mon année de mairie, le 14 septembre prochain à Genève, incluant un Hackathon et de nombreux intervenants qui ont un rôle et une opinion face à l’évolution du paysage médiatique. En prévision de cette journée, j’ai mandaté Fabio Lo Verso pour établir un rapport (ci-joint) qui documente les différentes initiatives et propositions citées ci-dessus. Il offre de manière inédite, à ma connaissance, ces éléments réunis de manière synthétique.

    Enfin, et pour ne pas en rester à une simple journée de débats, aussi intéressante puisse-t-elle être, la journée fera l’objet d’un hackathon co-organisé avec l’association Open Geneva, celui vise à s’inscrire dans le développement d’un projet sur le long terme. A la suite de cette journée, j’aimerais que soient rapidement organisés des Etats-généraux des médias, à l’échelle lémanique voir romande, réunissant cantons et principales villes, afin de clarifier quel pourrait être le rôle des pouvoirs publics dans ce domaine, et de tenter d’harmoniser nos approches et formuler des solutions concrètes.

     

    Informations et inscriptions au hackaton : www.ville-geneve.ch/mairie-actmedia

    Programme de la journée en PDF: > télécharger

    Rapport “L’aide aux médias à l’ère numérique”: > télécharger

  • Discours du 1er août

    Discours prononcé le 1er août, à l’occasion de la Fête nationale organisée par la Ville de Genève au Parc La Grange (seul le prononcé fait foi).


    Monsieur le Maire de Bienne, cher Erich

    Madame la représentante du Laboratoire européen pour la physique des particules, le CERN, chère Madame Warakaulle,

    Chers habitantes et habitants de Genève

    Chères et chers amis,

    – salutations en suisse allemand, en italien et en anglais – 

     

    Je suis particulièrement heureux que nous soyons réunis aujourd’hui aussi nombreuses et nombreux pour commémorer ensemble la Fête nationale de la Suisse.

    Une fête que la Ville de Genève organise dorénavant chaque année dans ce magnifique Parc La Grange. J’avais choisi ce lieu lors de ma première année comme Maire et je me félicite que cela soit devenu une tradition.

    L’appartenance de Genève à ce pays n’est historiquement pas si lointaine, comme nous l’a rappelé la célébration du bicentenaire de notre entrée dans la Confédération il y a 3 ans. Mais notre attachement à la Suisse est certainement plus profond qu’il n’est ancien : une journée comme celle d’aujourd’hui nous donne l’occasion d’y repenser.

    Le 1er août est en effet un événement qui nous permet de nous retrouver, avec nos proches, notre famille, nos amis, nos voisins, afin de partager ensemble un moment convivial et de célébrer les valeurs fondatrices de notre pays que sont la liberté, la tolérance, la solidarité, la diversité et l’ouverture au monde.

    Genève est depuis toujours un carrefour, une terre d’échanges ; déjà à l’époque de la Réforme, il y a 500 ans, Genève comptait 40% de résidents étrangers. Aujourd’hui, plus de 70% des personnes résidentes disposent d’une nationalité autre que Suisse, si l’on compte les binationaux. C’est considérable. Et cela fait de Genève un Canton et une Ville profondément suisses car la Suisse est elle-même une terre de diversité et de migration.

    Tout comme la Ville de Bienne d’ailleurs, que nous accueillons aujourd’hui. 10e ville suisse et la plus grande ville bilingue de notre pays, Bienne partage en effet avec notre cité la réputation d’être une ville ouverte et tolérante, une ville qui a su faire de la mixité de sa population une force.

    Bienne qui partage également avec Genève, je tiens à le souligner, une tradition horlogère forte ancrée dans un passé glorieux qui a su se réinventer au fil des siècles pour rester vivante aujourd’hui encore.

    J’ai en plus un lien très personnel avec Bienne puisque j’ai le plaisir d’y passer mes examens de maturité.

    J’aimerais rappeler ici la devise historique, même si non-officielle, de notre pays : « Unus pro omnibus, omnes pro uno ». Les latinistes auront déjà traduit : « Un pour tous, tous pour un », qu’ont également faite leur les mousquetaires d’Alexandre Dumas.

    Au 21ème siècle, alors que les tensions et l’individualisme semblent à leur paroxysme, alors que les défis qui touchent notre planète semblent difficilement gérables, vous conviendrez que cette devise représente un véritable défi mais aussi, plus que jamais, une nécessaire volonté.

    Je suis persuadé que c’est en valorisant une démarche de création, d’innovation, de curiosité, de découverte, dans une logique d’inclusion et de respect mutuel, que la Suisse pourra concrétiser son « Unus pro omnibus, omnes pro uno ».

    C’est en affirmant une ouverture assumée, confiante, dynamique, que la Suisse saura relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Et faire honneur à sa devise. Car la Suisse moderne est bien le fruit de l’ouverture. Fille d’Helvetia plutôt que de Guillaume Tell, la Suisse d’aujourd’hui est née d’une union confiante entre des régions aux langues, aux religions et aux cultures différentes, misant sur des équilibres en constante évolution à travers les siècles, incluant avec intelligence les apports en provenance d’ailleurs.

    Même si 1291 reste la date de référence pour l’acte d’origine de cette alliance confédérale, cette Suisse moderne prend ses racines bien plus dans la Constitution de 1848, ou dans l’introduction des droits populaires, initiative et référendum, en 1874 et 1891, ou encore dans la Paix du travail en 1937.

    Le poète Pierre Reverdy a écrit qu’il « n’y a pas d’amour, seulement des preuves d’amour ». La Suisse est née de ces preuves d’amour. Amour de raison peut-être. Mais preuves d’amour néanmoins, comme l’instauration d’une solidarité indispensable pour affermir le lien entre les cantons d’un pays naissant. Plus largement, la solidarité doit être aujourd’hui constamment réaffirmée, martelée, étendue pour constituer ce lien qui permet notre « vivre ensemble ». Un « vivre ensemble » qui implique surtout de construire ensemble.

    Alors que l’actualité peut nous faire craindre que notre pays se replie sur lui-même, il est essentiel d’évoquer cette attention à l’autre et de rappeler que, sans ouverture, sans acceptation de la différence, la Suisse telle que nous la connaissons n’existerait tout simplement pas. Lorsque nous voterons, en novembre de cette année, sur l’initiative dite « pour l’autodétermination », ou « contre les juges étrangers », je vous invite à conserver cette nécessaire ouverture, cette confiance dans notre capacité à avancer avec les autres, et à vous opposer à cette initiative qui n’est rien d’autre qu’une chape de plomb sur un ciel étoilé.

    Cette initiative représente la négation de ce qui constitue l’un des piliers fondamentaux de nos sociétés démocratiques modernes, à savoir l’Etat de droit. Un Etat de droit qui inclut nécessairement des normes de droit international, vitales pour organiser notre coexistence et les droits fondamentaux de toutes et tous, de chacune et chacun. Accepter cette initiative signifierait, par exemple, renier notre adhésion à la Déclaration universelle des Droits humains, dont on marque justement les 70 ans d’existence cette année ! Je profite d’ailleurs pour rappeler que le groupe de rédaction, sous l’égide d’Eleanor Roosevelt, ancienne Première dame des Etats-Unis et fer de lance des droits des femmes, notamment, s’est réuni justement dans la Villa La Grange, juste ici à côté, en décembre 1947.

    Comme l’a dit une fois le Général de Gaulle, « Le patriotisme c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester les autres. » Vous aurez compris que je me définis volontiers comme patriote, ouvert aux autres !

    Pour en revenir à l’innovation nécessaire évoquée il y a quelques instants, et comme vous le savez certainement, j’ai souhaité placer mon année de mairie sous le signe de la digitalisation. Car le monde numérique, digital, électronique, est devenu en grande partie notre monde. Nous vivons dans un univers dominé par les enjeux numériques. Un numérique parfois choisi, parfois subi. Parfois visible, parfois invisible. Parfois positif, parfois négatif.

    Il nous faut donc envisager de manière différenciée, nuancée, les situations et les réponses à donner.

    Mais d’une manière générale, je tiens à ce que le numérique soit mis au service du vivre-ensemble. Qu’il serve la cohésion et le partage, plutôt que l’exclusion et la ségrégation.

    Genève bénéficie depuis de longues années maintenant de la présence du CERN sur son territoire. Ce Centre de recherche à l’aura mondiale nous place au cœur des innovations marquantes – je pense que tout le monde sait que le world wide web y a vu le jour le 13 mars 1989, il y a bientôt 30 ans.

    Et c’est en dialoguant entre pouvoirs publics, institutions de cette ampleur et petites structures innovantes que nous pourrons nous projeter vers le futur, inventer et développer des projets au bénéfice de l’ensemble des citoyennes et citoyens de Genève bien sûr, mais également du monde entier.

    La digitalisation doit être abordée comme une chance. La chance de profiter d’un élan pour construire une ville plus inclusive, qui sache mieux tenir compte de la place de chacune et chacun. Une ville qui s’inscrive dans la devise « un pour tous et tous pour un ».

    Merci au CERN et à la Ville de Bienne d’avoir accepté de nous rejoindre aujourd’hui, et à toutes les équipes qui ont permis d’organiser cette belle manifestation.

    Je vous remercie toutes et tous pour votre attention et vous souhaite une magnifique fête nationale !

    Vive Genève, vive la Suisse !


    Télécharger ici le discours en PDF > Discours 1er août 2018 – Fête nationale

    Lien vers la galerie photos de la Fête nationale > Galerie – Ville de Genève

    Lien vers l’événement “entre tradition et innovation” proposé par la Ville cette année > Evénement – Ville de Genève

  • Digitalisation : agir en réseau !

    Parmi les nombreux défis qui se posent à notre société en général, et pour la vie urbaine en particulier, figure celui de l’emprise de plus en plus forte du digital. La formidable accélération de l’évolution technologique dans tous les domaines de notre société bouscule notre cadre de vie. Il est frappant de constater que je dois faire face à l’enjeu aussi bien en tant que Maire de Genève, que responsable de la culture et du sport, Vice-président de l’Union des Villes Suisses ou – et c’est même devenu une des priorités de celle-ci – comme Président de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse.

    Nous vivons en effet dans un monde de plus en plus dominé par les outils numériques ; un numérique parfois choisi, souvent subi ; parfois visible, parfois largement invisible. Et quand je dis « dominé », cela englobe tant les aspects positifs que négatifs de cette révolution, ce qui doit nous inciter à envisager de manière différenciée les situations et les réponses à y donner.

    Un potentiel gigantesque et une responsabilité à la même hauteur

    Le numérique peut offrir d’énormes possibilités, dans tous les domaines. Qu’il s’agisse de la culture, du partage d’information, de la gestion du trafic, de l’organisation de la vie familiale, de l’urbanisation, de la valorisation du patrimoine, de la protection de notre environnement, du sport, de la santé, de la convivialité et j’en passe ; le numérique nous offre des outils précieux.

    Tout en mettant à profit ces nouvelles possibilités, en les partageant de manière équitable pour toutes et tous, il est nécessaire de faire face et de contenir les risques et les désavantages : commercialisation à outrance des données récoltées à notre sujet, cybercriminalité, transformations radicales du marché de l’emploi, répression de mouvements démocratiques par des régimes totalitaires, manipulations de campagnes électorales, et ainsi de suite.

    Définir un cadre inclusif et protecteur

    Tout en développant le partage des données (open data) il est impératif de garantir la protection de la sphère privée ; nous devons dans un même mouvement développer l’administration en ligne tout en évitant de laisser sur le bord de la route celles et ceux qui n’y ont pas recours, pour éviter une fracture numérique ; nous devons protéger les droits fondamentaux tout en facilitant l’innovation et la créativité ; nous devons surtout définir un cadre public, démocratique, éthique et transparent face à la puissance des géants du numérique et aux manipulations potentielles.

    La manière dont nous abordons ces enjeux aura des répercussions directes sur la société de demain. Le numérique doit nous permettre de favoriser le vivre ensemble et non nous diviser. Il doit faciliter l’inclusion et le partage, pas l’exclusion et la ségrégation. Il doit renforcer la vie démocratique et pas l’affaiblir.

    Genève : un espace ouvert pour avancer dans ces réflexions

    Même si les enjeux du numérique nous dépassent et sortent très largement du cadre d’une ville comme Genève, il est important de se souvenir que Genève a, durant son histoire, toujours su se positionner sur la carte du monde comme un lieu favorisant les expériences, les discussions, les prises de conscience et les innovations, aussi bien sur le plan local que global.

    Une « année de mairie » dédiée à ce tournant numérique

    J’ai eu le privilège et l’honneur d’accéder à la fonction de Maire de Genève, dans la tradition de tournus annuel de cette fonction (une « genferei » peut-être, qui voit la fonction de maire changer chaque année, sur le modèle de la présidence de la Confédération). J’entends donc développer, avec mes collègues et les nombreux partenaires possibles à Genève, des projets concrets et offrir des espaces de réflexion pour que ces enjeux puissent être abordés dans les meilleures dispositions possibles, et que la Ville de Genève devienne elle-même exemplaire en la matière.

    Cette année 2018-2019 verra donc se concrétiser une journée consacrée à l’information et au rôle des médias. Cette journée sera organisée dans le cadre de la consultation sur le projet de Loi sur les médias électroniques proposé par le Conseil fédéral. Mais pas uniquement, puisqu’elle abordera également des questions plus larges d’accès à l’information, de vérification de celle-ci, d’éducation, car ces dimensions sont constitutives d’une démocratie en bonne santé. C’est d’ailleurs le Président Alain Berset et l’ancien Premier ministre français Jean-Marc Ayrault eux-mêmes, qui ont rappelé que la meilleure manière de lutter contre les « fake news », ce n’est pas une loi, c’est de renforcer l’éducation, l’intégration sociale, le dialogue, l’incitation au respect, l’accès à la formation et une réflexion sur la nécessité de responsabilisation (pour laquelle le système institutionnel fédéraliste helvétique est d’ailleurs intéressant).

    Deuxième élément, un programme en continu proposé avec la bibliothèque de la Cité à Genève, et son espace le 4e qui explorera la digitalisation, y compris sur le mode de l’humour, car l’humour peut être un puissant instrument pour rendre accessibles des notions complexes et déroutantes.

    Enfin, troisième élément que je tenais à évoquer, en dehors d’un large processus que j’ai initié à Genève afin de repenser l’action publique à l’aune de la digitalisation, au printemps 2019 : un événement qui mobilisera les artistes du numérique pour nous questionner sur les enjeux de la transition numérique. Car les artistes n’ont pas attendu la mode de la « 4ème révolution industrielle » pour chercher, créer et explorer ce qui est devenu le « data art », le « web art », les « arts génératifs », etc… Au-delà de leur curiosité intrinsèque et de leur capacité créative, les artistes offrent très souvent un regard passionnant, parfois perturbant, sur des enjeux de société, tout en étant des formidables agents d’innovation. Je reviendrai prochainement sur cet événement.

    Revendiquer une réflexion critique : du local au global

    Je suis convaincu que la réflexion ne peut être seulement locale ou internationale ; ces deux perspectives peuvent et doivent se compléter. Ces événements locaux proposés par la Ville de Genève, comme les démarches intéressantes mises en place par des associations locales, doivent inspirer le positionnement de Genève. Nous devons poursuivre cette histoire aujourd’hui et revendiquer, sur le plan international aussi, une réflexion critique sur le « monde numérique ». La récente annonce de la participation de Madame Doris Leuthard à un groupe de haut niveau de l’ONU mis en place par le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, va dans ce sens et me réjouit car il renforcera encore l’ancrage genevois de la problématique, avec l’engagement du directeur de la Geneva Internet Platform (GIP) au sein de celui-ci et un secrétariat partagé entre New-York et Genève.

    Nous devons nous inspirer des démarches d’acteurs locaux qui agissent en réseaux de manière totalement intégrée pour proposer des « Conventions de Genève du numérique », en soulevant les questions centrales de la gouvernance du web à un moment où sa neutralité est remise en question, en osant aborder de manière critique la question de l’appropriation des données et des savoirs, en rappelant l’open data et l’open source comme horizons de possibles et en travaillant à réunir les collectivités publiques de proximité dans une action concrète et efficace. Cette perspective qui allie le local à l’international doit être portée conjointement par les collectivités publiques genevoises ancrées dans les réalités du monde urbain (Canton et villes genevoises, avec l’appui de la Confédération). Par ailleurs, la Ville de Genève doit se positionner de manière très active dans les différents réseaux de villes, genevois, lémaniques, suisses et internationaux.

    Genève doit continuer à se proposer comme centre d’innovation, de promotion des intérêts publics et de négociation multilatérale, comme place idéale pour faire contrepoids aux géants du web. Nous devons faire fructifier notre héritage, celui de lieu de naissance du World wide web, le 13 mars 1989, il y a bientôt 30 ans !

Sami Kanaan est Maire de Genève 2014-2015, 2018-2019 et 2020-2021, Conseiller administratif en charge du Département de la culture et du sport, puis de la culture et du numérique, Président de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, Vice-président de l’Union des villes suisses et Président de l’Union des villes genevoises.

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