Ces jours, plusieurs personnalités genevoises ont lancé un appel public au Conseil d’administration de la RTS, critiquant le projet de transfert de tout le secteur de l’Actualité de Genève à Lausanne, sur le nouveau site « Campus » de la RTS. Selon la RTS, ce projet permettrait de concrétiser le principe de la SSR d’économiser plutôt sur les surfaces que sur les emplois. Cette situation illustre les contradictions des Chambres fédérales, ou du moins de nombreux de ses membres, qui adoptent une attitude paradoxale, en exigeant des économies drastiques de la part de la SSR, tout en refusant leur mise en œuvre, et alors que les mêmes Chambres s’ingénient à brimer les sources de revenus et à faciliter la vie des concurrents privés directs, notamment étrangers. Cette équation ne pourra pas fonctionner, ou alors au détriment justement des médias de service public. Ce serait le comble que certains des partisans de No Billag atteignent ainsi leurs objectifs grâce à une partie de ceux et celles qui les ont combattus !
Ce débat est un exemple parmi d’autres de ce qui se passe malheureusement lorsqu’il s’agit de média et de leur avenir dans ce pays, à savoir une attitude réactive, de cas en cas, et sans vision globale. En septembre 2018, j’avais initié à Genève une journée de réflexion, #ACTmédia, afin d’aborder de manière élargie les enjeux de l’avenir des médias, aussi sur le plan global que sur le plan local. A cette époque, nous faisions face à l’avant-projet de Loi sur les médias électroniques (LME), initié par l’Office fédéral de la communication. Ce projet suscitait de fortes critiques de tous bords mais avait au moins le mérite de concrétiser un réel débat sur le plan fédéral, suite à la votation No Billag. Depuis, ce projet semble parti aux oubliettes, avec le changement à la tête du Département fédéral concerné. La journée #ACTmédia avait, bien évidemment, confirmé à quel point ce débat est à la fois essentiel et complexe, et qu’il comporte aussi des risques, mais que cette complexité ne doit pas empêcher d’agir. Deux rapports établis dans le cadre de cet événement par MM. Lo Verso et Nappey ont par ailleurs confirmés que des solutions existent et resserré la réflexion autour d’elles.
L’une des questions abordées ce jour-là est celle du rôle d’une collectivité locale, comme par exemple la Ville de Genève. En apparence, nous pourrions dire que nous ne sommes pas concernés, ou que nous ne pouvons rien faire. Je suis intimement persuadé du contraire. Je vais donc tenter de résumer de manière forcément télégraphique ce qui me semble devoir être la position d’une Ville comme la nôtre, en 10 points :
1. En tant que Ville, Genève a un rôle à jouer et une responsabilité à assumer pour contribuer à soutenir une presse diversifiée, indépendante et accessible, notamment sur le plan local mais aussi sur les plans régional et fédéral. C’est toutefois une responsabilité qui doit être partagée avec d’autres collectivités publiques.
2. Dans le cadre de la diversité du fédéralisme suisse, Genève tient à faire valoir son identité spécifique de ville internationale et multiculturelle, ville frontière, ville de finance et de culture. Genève tient donc à rester un pôle fort en matière d’activité médiatique, aussi bien locale que régionale, national et internationale, et la Ville doit s’engager activement dans ce sens.
3. Au vu des particularités de Genève, une attention particulière doit être accordée, à travers toute mesure engagée, à la Genève internationale, à la fois pour favoriser son ancrage local, sa valorisation sur le plan national et son positionnement sur le plan international.
4. Au vu de l’évolution des technologies et des pratiques, il nous faut être est favorable à une saine complémentarité des différents vecteurs de diffusion (print, radio, tv, net) et non pas à une concurrence stérile et destructrice. La préservation de journaux imprimés n’est pas un but en soi mais un axe complémentaire dans le cadre d’une stratégie plus large.
5. La Ville de Genève doit entrer en matière sur les outils d’aide directe, à certaines conditions. Sur le plan municipal cela consisterait notamment à orienter les moyens affectés aux annonces (soit entre 600 et 800’000 francs par an, tous médias confondus) en fonction de critères à définir et à évaluer la pertinence de maintenir sous sa forme actuelle le magazine municipal « Vivre à Genève ». Il est toutefois nécessaire de prévoir une démarche plus large en matière d’aide directe, la Ville ne pouvant agir entièrement seule (cf. point 7).
6. Par conséquent, la Ville de Genève doit forcément être aussi favorable aux outils d’aide indirecte. On pourrait imaginer, par exemple, le financement d’abonnements pour les jeunes ayant atteint leur 18ème année ou la gratuité des caissettes. D’autres mesures doivent être évaluées, par exemple pour soutenir les activités d’imprimerie, la formation ou l’accessibilité aux contenus numériques de qualité.
7. Sur le plan régional une démarche conjointe avec les villes et cantons romands doit être initiée pour évaluer des outils d’aides à la presse, en particulier sur le plan lémanique, région durement touchée par les restructurations. Mon collègue lausannois Grégoire Junod, syndic de Lausanne, et moi, avions déjà évoqué cette pite pour nos deux villes lors de la journée #ACTmédia. On pourrait imaginer, notamment la mise en place d’une institution autonome visant à contribuer financièrement la diversité de la presse par différentes mesures. Cette démarche « lémanique » constitue aussi le bon niveau pour se positionner face aux nombreuses initiatives et idées qui ont été lancées récemment. Sur le plan suisse, la Ville de Genève doit s’engager dans différents réseaux, notamment l’Union des Villes Suisses, pour une attitude plus offensive en matière de soutien à la diversité de la presse et aux médias de service public, pour une approche cohérente de la politique envers la SSR, ainsi que pour que les opérateurs numériques soient enfin mis à contribution.
8. Même si l’évolution technologique et sociale dans le domaine du numérique n’est pas le seul facteur décisif pour l’évolution du paysage médiatique, il en constitue un vecteur puissant, ce qui renforce la nécessité pour les pouvoirs publics en général et pour la Ville de Genève en particulier de jouer un rôle très actif pour une transition numérique qui soit inclusive, participative, transparente et éthique.
9. En tant que 2ème ville de Suisse et ville internationale, Genève doit s’intéresser à toutes les composantes qui constituent un paysage médique diversifié mais elle doit accorder une attention particulière au paysage local et à sa diversité, quel que soit le vecteur de diffusion (print, radio, tv, net), dès lors que ces médias contribuent réellement à la vie sociale, culturelle, économique et politique de notre Cité. Un choix doit être effectué entre mise en concurrence selon une logique d’appel à projets et à candidatures, selon des critères à définir, et une logique de mise en pool des médias locaux avec un soutien pour la production et la diffusion de contenus liés à la vie locale.
10. La Ville de Genève doit préserver les moyens existants (volume d’annonces, Vivre à Genève, etc.) au moins à leur niveau actuel, quitte à les allouer différemment selon les points précédents.
J’ai décidé de soumettre prochainement à mes collègues du Conseil administratif de la Ville de Genève, une série de mesures concrètes qui découlent de ces points. J’aimerais que nous puissions, sur cette base, mettre en place les actions que peut prendre une collectivité publique de proximité comme la Ville de Genève. Celles-ci ne pourront certainement pas apporter des solutions magiques à tous les problèmes. Mais nous devons et nous pouvons agir à notre échelle, car un paysage médiatique diversifié, en termes de titres, de style, de contenus, de tendances, de vecteurs de diffusion, est vital pour notre vie démocratique et plus largement pour la vie collective, en particulier dans notre pays fédéraliste et multiculturel. Laisser la place uniquement à quelques médias commerciaux mainstream, à la gabegie des réseaux sociaux, et se satisfaire de quelques rares titres locaux et engagés, certes ultra-nécessaires mais à l’audience marginale, serait hautement toxique. J’espère que chacun et chacune, à tous les échelons institutionnels suisses, communes, mais aussi cantons et Confédération, sauront prendre la mesure du défi et mettre en place ce qui est possible à leur niveau. Car comme dans la légende amérindienne du Colibri, « ce n’est pas avec des gouttes d’eau qu’on va éteindre le feu », mais qui sait, si chacun-e « fait sa part ».
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