La densité de trafic automobile à Genève devient franchement inquiétante. Elle a des conséquences négatives sur tous les plans : sur l’environnement bien sûr, mais aussi sur la santé, l’économie, la qualité de vie. La nécessité d’inverser le cap paraît évidente mais cette surcharge semble s’aggraver et s’installer dans la durée. Le Léman Express qui devient enfin réalité dans une semaine va certainement améliorer la situation, mais sera-ce suffisant ? De loin pas ! Il faut imaginer et concrétiser une histoire ambitieuse et positive pour notre transformation urbaine !
Ce dimanche le réseau du Léman Express sera enfin inauguré, plus de 100 ans après ses prémisses. Il apportera certainement une contribution précieuse au transfert modal de la voiture privée vers les transports publics. Le Léman Express contribuera à diminuer la charge de trafic mais cela ne suffira de loin pas ! Ce n’est que le premier pas d’un nécessaire développement de l’offre ferroviaire régionale afin d’avoir un réseau complet et dense digne de ce nom. Car le changement d’habitudes ne se fera que si des solutions efficaces et abordables sont proposées. Et ce n’est qu’à cette condition que, parallèlement, il sera légitime de prendre des mesures coercitives de réduction du trafic individuel motorisé. Car la prise en compte de l’urgence climatique ne pourra se faire que dans la justice sociale. Le mouvement des gilets jaunes en a témoigné !
Un Comité unitaire pour soutenir le projet CEVA
En 2004, je siégeais au Grand Conseil en tant que député socialiste. Une époque où pratiquement personne – en dehors d’un petit cercle de passionné-e-s – ne parlait de ce qui allait devenir le CEVA (devenu « Léman Express »). Avec Gabriel Barrillier, alors député du Parti radical (devenu PLR) et secrétaire général de la Fédération genevoise des métiers du bâtiment (FMB), nous avons décidé de créer un Comité unitaire afin de défendre et promouvoir ce projet. Comme Robert Cramer le racontait encore récemment dans le Temps, le projet de raccordement ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse a failli ne jamais ressortir de l’oubli total où il se trouvait. Lui-même a compris l’enjeu bien avant d’autres élues et élus de l’époque. Il a ensuite fait preuve d’opiniâtreté et de talent pour transformer une utopie en une réalité politique et institutionnelle, puis opérationnelle.
Mais il fallait aussi rassembler un front large autour d’une idée ambitieuse, surtout à Genève où les dossiers des transports ont une fâcheuse tradition à polariser le monde politique. Ce Comité Pro CEVA a rassemblé tous les partis de l’époque sans exception, les organisations économiques et syndicales, le TCS et l’ATE, sans oublier le rôle clé de l’association Alprail et de son infatigable promoteur, Sig Maxwell, décédé il n’y a pas si longtemps.
Sous la coprésidence de Gabriel Barrillier et la mienne (puis avec Elisabeth Châtelain, députée socialiste, qui m’a remplacé), nous avons ainsi pu créer un front très large en soutien au projet. Une mobilisation qui s’avérera précieuse par la suite, lorsqu’il fallut faire face aux vents contraires, aussi bien pendant les débats parlementaires que, surtout, dans l’opinion publique.
Réseau ferroviaire régional : encore beaucoup à faire !
15 ans plus tard, le Léman Express va être inauguré, ce dimanche 15 décembre 2019. J’entends encore maintenant certaines voix prétendre qu’il sera vide. Je fais le pari qu’il sera vite saturé ! A chaque voix qu’une nouvelle offre ferroviaire régionale efficace et de qualité a été mise en place dans notre région, les trains ont été vite pleins, même lorsque les parkings-relais (P&R) n’étaient pas encore disponibles. Cela a été valable aussi bien entre Genève et la Plaine qu’entre Genève et Coppet, ou chez nos voisins entre Evian-Thonon et Annemasse.
Aujourd’hui, le Léman Express n’est pas l’aboutissement d’une démarche ; c’est un premier pas, certes important, mais largement insuffisant. Le prochain chantier de grande ampleur sera l’extension de la gare Cornavin avec 2 puis 4 voies souterraines supplémentaires, chantier que certains contestent encore au nom d’une vision passéiste du transport régional. Faut-il rappeler que, pendant que certains esprits frondeurs bien genevois s’amusent à couper les cheveux en 4 juste pour exister, les autres cantons avancent et obtiennent des soutiens fédéraux ?
Pour le réseau régional, nos voisins français doivent accélérer la mise à niveau de ce réseau sur le plan technique et sur le plan de l’offre, par exemple pour améliorer la desserte sur Annecy, ou, en collaboration avec la Suisse, rétablir une liaison complète sur la rive sud du Lac Léman (la liaison dite du Tonkin). Il devient également impératif de prévoir une réelle offre ferroviaire sur l’Ouest du Canton, vers le pays de Gex, plusieurs options étant possibles. Et sur le territoire genevois, des plans existent heureusement, par exemple pour créer une halte à Châtelaine, créer une connexion directe entre l’axe en provenance d’Annemasse et l’aéroport et une tangente vers l’aéroport depuis la Suisse, ainsi qu’une liaison ferroviaire diamétrale telle qu’annoncée par le Canton. A ces projets ferroviaires indispensables et urgents s’ajoute la nécessité d’accélérer la réalisation des projets de tram.
Des mesures drastiques de réduction du trafic automobile, socialement équitables
Encore qui concerne le trafic automobile, rappelons 4 chiffres :
- Un bon tiers des véhicules privés en circulation à Genève font en moyenne moins de 3km pour leurs déplacements.
- 95% des 600’000 passages quotidiens de la frontière avec la France se font en voiture.
- Pendant les vacances scolaires on considère qu’il y a 7 à 10% de véhicules en moins qui circulent, et l’effet est déjà très net sur la situation dans les rues.
- Plus de 40% des ménages de la Ville de Genève n’ont pas (ou plus) de voiture (dont moi d’ailleurs).
Il faut un programme ambitieux de réduction du trafic automobile classique en ville, avec des mesures à la fois dissuasives et incitatives. La dissuasion passe notamment par une réduction massive des nombres de places de stationnement, une augmentation substantielle des taxes sur les véhicules les plus puissants et les plus polluants (en attendant leur interdiction), l’instauration d’un péage urbain, entre autres. Mais il est impératif d’accompagner ceci de mesures fortes et crédibles pour aider à la transition et éviter un impact social rédhibitoire. Il faut envisager des incitations financières sur la conversion vers des moyens de transport individuel moins polluants (vélo, vélo à assistance électrique, voire même scooters électriques), ainsi que les réseaux d’auto-partage (à motorisation alternative) et une baisse des tarifs des transports publics, voire la gratuité ciblée (enfants et jeunes, seniors, personnes en recherche d’emploi…). Les outils numériques faciliteront de plus en plus ces approches, s’ils sont utilisés de manière transparente, accessible et éthique. Le produit du péage et des taxes susmentionnées doit servir à financer ces mesures qui entraîneront de toute manière à terme des économies importantes, directes et indirectes.
Une évolution forte de notre organisation sociale et urbaine !
De plus, il faudrait imaginer des mécanismes fortement incitatifs pour soutenir les entreprises dans une approche plus créative et flexible de l’organisation du travail (possibilité de varier ses horaires, télétravail, lorsqu’on en a la possibilité et que c’est un choix), bien accompagnée en termes de protection des droits du travailleur / de la travailleuse et qu’un suivi adéquat est mis en place.
Il y a une attention particulière à accorder au transport professionnel sous toutes ses formes, à la fois pour faciliter ses besoins lorsqu’il est légitime, tout en favorisant une transition du trafic croissant de livraisons dues aux achats en ligne sur des véhicules moins polluants. Le nombre de camionnettes est en effet en train d’exploser en Suisse. Prendre des mesures pour relocaliser le commerce est ainsi tout autant une mesure écologique qu’économique, en favorisant un commerce de proximité.
Au niveau du trafic, à court terme, il faut passer rapidement toute la ville en zone 30 km/h (ce qui entraînera déjà une baisse significative du bruit et des risques), et multiplier massivement les zones piétonnes ou à priorité piétonne dans les cas où le passage de véhicules reste indispensable. En attendant, un passage au 30 km/h généralisé la nuit, comme dans les villes vaudoises, et comme je l’ai moi-même proposé pour Genève, serait un premier pas important vers moins de nuisances de bruit, très néfastes pour la santé !
Une amélioration réelle de la qualité de vie pour toutes et tous, sans exception !
Enfin, cette évolution doit impérativement s’accompagner d’une réelle amélioration visible et mesurable de la qualité de vie pour toutes et tous : moins de bruit, moins de nuisances, plus d’espaces urbains accessibles et conviviaux, des activités collectives dans l’espace public, ce qui passe aussi bien par un aménagement urbain offensif et ambitieux qu’une promotion active de l’occupation positive de l’espace public (culture, proposition sociales, sportives, animations, …), pour toutes les catégories de la population, qui peut bénéficier pleinement de ces améliorations ! Ces mesures doivent s’inscrire dans une histoire convaincante et séduisante, qui fasse envie à une majorité ! La transition climatique ne se fera que si elle est socialement juste, souhaitée et vécue positivement !
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